Le Sang des bêtes
Un métrage, une image : La Panthère des neiges (2021)
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son HLM manger du
poulet aux hormones
Jean Ferrat, La Montagne
Vous resterez dans l’histoire le
président de l’inaction climatique.
Yannick Jadot à Emmanuel Macron
Le camouflage animal procède du
pragmatique, ne se soucie de l’esthétique : l’invisibilité assure une
certaine sécurité, permet d’épier, sans être mal vu, malvenu. La bête presque
obsolète, proche de la roche, nécessite de l’attention, sinon de la protection.
Elle inverse aussi le mouvement d’agrandissement de Blow-Up (Antonioni, 1966),
où un cadavre devenait paysage puis pure image. Mutique, mythique et « totémique »,
un brin à la Moby Dick, elle incarne avec majesté, immobile, inaccessible,
encore « incommunicable », la réalité réconciliée, « la liberté,
l’autonomie, la parfaite connaissance de son environnement », tel un
superbe requiem adressé à l’espèce
humaine, que caractérisent « l’épilepsie », l’impatience, « le renoncement »,
la fatigante fuite en avant, a fortiori de « conférences »
cosmopolites. Escortés d’un invité nommé Sylvain Tesson, Marie Amiguet &
Vincent Munier, compagnons de route, compagnons tout (haut et) court, misent
ainsi sur l’émerveillement, se bornent donc à « célébrer la beauté »,
optent pour une forme refusant la « mise en scène » d’émotions à
l’unisson. Ce dogme de l’immanence, cet esprit de la transparence, cette
sacralisation du silence, citation de Char en sus, se heurtent vite en vérité à
une manière de médiocrité, à une invasive subjectivité, à une pasteurisation des
situations, des sensations, des pseudo-réflexions, Herzog rigole, aporie
esquivée par Ernest Hemingway, selon une célèbre nouvelle, elle-même munie d’un
mystère mortuaire, d’une faune en voix off,
d’un constat de cata, (re)lisez illico
Les
Neiges du Kilimandjaro. Mâtinée de misanthropie, de technophobie, de
piètre poésie, de fausse philosophie, l’élégie d’harmonie ne semble
s’apercevoir qu’elle sacrifie à sa mesure, à la limite de l’imposture, aux
vices civilisationnels dénoncés via
sa bonne conscience moralisatrice à la truelle. Le monde d’aujourd’hui, en
effet en sursis, n’incite à contempler de confort doté, conforté, réconforté,
une heure et demie de sentimentale écologie, de naïve nostalgie,
d’aphorismes-truismes, de mysticisme risible, Prométhée dut ricaner du nouveau
voleur de feu à équipement de marque et « chaussettes chauffantes ».
S’il existe des solutions, elles se situent au-dessus de l’inoffensive et
lénifiante fascination, elles invitent à l’action, à la taxation, à la
pénalisation (crimes de guerre, crimes de Terre), à la radicale modification
des comportements de production, de consommation, de prédation, de destruction.
Motivé par une discutable et décriée visibilité, passé à côté de la rencontre
annoncée, celle du tandem de mecs
filmé par une femme, celle du vivant nous observant, au fond indifférent, hanté
par le hors-champ davantage que désolant de la sinisation à (longue) marche
forcée du Tibet, La Panthère des neiges s’essaie in extremis au lyrisme
itératif de Cave/Ellis, le vain Sylvain aux ét(h)iques lyrics. Auparavant, on croise quelques nomades accueillants, dont
un gamin malin, au sourire irrésistible, on prend ou perd son temps, on
s’autoriserait à roupiller, on se dit que tout ceci, avant livre, présenté à
Cannes en prime, ne déparerait à la TV, sur un canal spécialisé, par exemple
celui du N(ational) G(eographic), allez. Cohérence ? Inconséquence…
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