Le Grand Alibi

 

Un métrage, une image : Témoin à charge (1957)

Les dix dernières minutes de tumulte du succès cinématographique issu d’un succès scénique accumulent les coups de théâtre, logique esthétique, symbolique, a fortiori réflexive, puisqu’il s’agit aussi, en sus de Christie transposée par Billy, d’une fable affable sur l’art d’interpréter, par conséquent de (se) tromper. Dans Le Grand Alibi (Hitchcock 1950), déjà  avec Dietrich, encore une histoire d’actrice, le vrai coupable mentait dès l’orée ; dans Witness for the Prosecution, les amants (se) mentent tout le temps, jusqu’à l’ultime moment. Quant au Procès Paradine (Hitchcock, 1947), toujours avec Laughton, il carburait par avance à la culpabilité avérée, décuplée, au triolisme assumé. Cependant Wilder, a contrario du confrère, qu’il classait en spécialiste supérieur du suspense, étiquette suspecte, simplette, Chabrol & Rohmer s’en désolèrent, ne succombe au catholicisme, ne se soumet à l’illustrative servilité, escorte le cardiaque avocat à monocle d’une infirmière nommée Lanchester, occasion à répétition de piques sympathiques, pas si anecdotiques, de quasi couple en déroute, celui, à la ville, de Charles & Elsa s’en/nous amuse. Fourni de ce féminisme soft, les femmes ordonnent, se déguisent, complotent, « exécutent », l’item se munit d’une dimension méta de bon aloi, western en abyme et bovarysme mature en prime. Christine fascine Wilfrid, il décide, en définitive, de la défendre, meurtrière « remarquable », amoureuse malheureuse. La séquence musicale, martiale, bagarre substituée au gang bang, renvoie à l’évidence vers la persona de Marlene, co-créée en compagnie bien sûr de Sternberg. Elle affirme au même instant, du même mouvement, les différences fondamentales, de style, de ton, de vision, des deux Viennois venus se réinventer aux USA. Cela ne dispense le mentor de démocratiser, sinon de démythifier sa star, de l’humaniser en américaine mariée, ancienne danseuse de cabaret, de souligner sa disponibilité, sa douceur, sa tendresse et ses capacités à la comédie, cf. Blonde Vénus (1932), voui. Épaulé par les impeccables Power & Trauner, le réalisateur réussit davantage qu’un film estampillé de procès, un divertissement divertissant, une tragi-comédie aux rôles renversés, aux masques au carré. Entre parjure d’imposture et « symétrie » trop mimi, l’opus applaudi met en scène une mise en scène et à l’extérieur accède, pas seulement le Londres du temps, plutôt de l’Histoire le hors-champ. La femme balafrée, à l’accent cockney, Coward en coach, incarne donc, dédoublée, une abstraction, une affabulation, telle la Judy/Madeleine de Sueurs froides (Hitchcock, 1958), autre conte de conditionnement, de fidélité, d’infidélité, de « double peine », d’épiphanie in fine, de justice extrême in extremis. Elle renforce l’artifice afin d’en valider la vérité, sa violence d’effet spécial, disons de violence conjugale, matérialise en sourdine, en rime à la chanson d’accordéon, déchiré pantalon, désir de masse/meute masculine à l’unisson, celle de la guerre, cicatrice indélébile et fil rouge plus ou moins enfoui de la filmographie : du studio au kapo, de Bailey à Nuremberg, Marlene idem

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