Classe tous risques : Le Fugitif


Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Claude Sautet.


Comme L’Impasse, l’œuvre débute dans une gare et chronique une mort annoncée ; comme L’Œuf du serpent, elle s’achève dans la rue par l’errance d’un protagoniste lesté du même prénom biblique : Abel ; entre ces deux stations – au sens spatial et religieux du terme –, on suit l’itinéraire vers (le grand) nulle part d’un homme coup sur coup dépouillé de tous ses biens. Davos perd ainsi son exil, son ami, sa femme (baptisée Thérèse), ses anciens compagnons, sa liberté, ses dernières illusions (amicales ou amoureuses). Criminel mis à nu, sans nom puis sans visage, il devient l’homme des foules qu’attend la guillotine laconique, à l’instar d’Alain Delon pour Deux hommes dans la ville, signé aussi Giovanni. Les incises littéraires de présentation en voix off pourraient évoquer Marguerite Duras, mais l’on pense surtout à La Nuit du chasseur devant ces enfants témoins du jeu (tragique) des gendarmes et du voleur commis par des adultes condamnés. Sautet brille par sa sobriété, se refuse au moindre pathos, ose le « pris sur le vif » (scène du vol des sacoches), épure dans un noir et blanc très équilibré dû à Ghislain Cloquet – maître de la couleur chez Demy –, sans verser dans le mysticisme de Bresson, le fétichisme de Melville, le béhaviorisme de Friedkin. Ventura bouleverse (adieu muet aux gosses), Belmondo – et Sandra Milo, avec ses faux airs d’Edwige Fenech ! – séduit (car fidèle et tourné du côté de la vie), tandis que Delerue accompagne avec une poignée de notes éloquentes et subtiles.




Réussi en soi, fluide long métrage à l’ombre de la mort et du destin (le dernier train, donc), telle une relecture minimaliste et incarnée du Jour se lève, Classe tous risques vaut encore sous l’angle de la métaphore et du présage. Si l’écrivain transpose son passé, via ses souvenirs polémiques de milicien et de truand, le réalisateur annonce son avenir : cet homme solitaire et prolétaire, abandonné/trahi par ses comparses « retirés », lui ressemble comme un frère, une part sacrifiée de lui-même ; bientôt, Sautet va passer dans l’autre camp, portraiturer des groupes essentiellement masculins, bourgeois, dépressifs, englués dans la boue économique, sociale et sentimentale des années 70 (cf. l’enlisement symbolique de Mado). On peut, largement, préférer son premier avatar, cet imago en forme de polar au plus près des choses triviales et nobles de la vie. Grand directeur d’acteurs (et d’actrices), cela, nul ne songera un instant à le lui contester, Sautet cinéaste, mais toujours scénariste avec la complicité du précieux Pascal Jardin, entre dans la carrière par un coup d’éclat qu’il assène à sa façon, discrète, silencieuse, énigmatique (métaphysique de l’identité ou du fatum). Ses hommes sur le point de tomber, posés sur une plage contre une mer ironique et mortelle, anticipent également, avec surprise, dans leur violence sèche et brusque, leurs élans mélodramatiques et leurs rêves brisés, les samouraïs perdus, trop fragiles et autodestructeurs (des ronins, pour utiliser un mot précis) d’un certain Kitano...  
           

Commentaires

  1. https://jacquelinewaechter.blogspot.com/2015/04/le-courage-est-une-chose-simple-et-grave.html?showComment=1590059611333

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