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Affichage des articles du février, 2025

Le Clan des clandestins

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  Exils 90 (28/02/2025) L’identité, surtout celle d’un exilé, ne tient à rien ou à peu, à une couleur ou à une coupe de cheveux. Lorsqu’en coda Nino revoit Elena, on ne la reconnaît presque pas, son front dégagé durcit ses traits. L’Italien toujours sur le point de partir, de revenir, ô gare, ô désespoir, arbore une crinière bicolore, un pansement blanc, des cicatrices sombres : peu de temps avant, il fracassait sa face dans un miroir de bar, sillage de match de foot à la TV, de supporters insultant l’équipe transalpine (« pourris » et « chiens » parce qu’ils le valent bien), de méprise homophobe (« Je ne suis pas une tante » qu’il se lamente). Si le blondinet adore d’abord l’imposture de sa teinture, paraît enfin trouver sa place et trouver grâce auprès des indigènes germanophones, gueule parmi la meute, « à Rome fais comme les Romains », crétin, il ne résiste au cri, au « goal » de sa gorge, instant surdécoupé de silenc...

Mon ennemi Pierrot

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  Exils # 89 (27/02/2025) Film inoffensif au financement participatif, à l’aspect pasteurisé des produits netflixés, Terrifier (Leone, 2016) ne terrifie le cinéphile amateur de cinéma dit d’horreur. Doté du prénom du petit démon de La Malédiction (Donner, 1976), du nom de lion d’un cinéaste célèbre pas seulement pour ses westerns , le type a priori sympathique, si l’on lit ses dires dans Mad Movies , conclue sa clownerie gory avec une dédicace d’occase : « In memory of » Wes Craven, George A. Romero, Tobe Hooper, sacro-sainte trinité de l’imagerie concernée. Hélas, ce troisième essai potache et qui tache ne possède une seconde l’intensité, la radicalité, l’originalité des Griffes de la nuit (1984), La Nuit des morts-vivants (1968), Massacre à la tronçonneuse (1974), items séminaux ensuite déclinés ou décimés à satiété, selon le succès que l’on sait. Toutefois Terrifier semble lui aussi se transformer fissa en franchise , puisqu’il s’agit déjà d’une lucrat...

J’irai cracher sur vos ombres

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  Exils # 88 (26/02/2025) Le générique fait gémir mais pas de plaisir, car surdécoupé, points de vue démultipliés, mention spéciale à la plongée depuis l’arbre, à vitesse réelle et au ralenti, escorté d’un « thème » vocal symboliste et sucré. Un cycliste binoclard y lit, ne s’y égare, traverse des rues de banlieue résidentielle aussi entretenues que celles, davantage anxiogènes, de Halloween (Carpenter, 1978). Tout autant indépendant, beaucoup moins gagnant, sur tous les plans, Horror High (Stouffer, 1974) ressemble un brin à un Carrie (De Palma, 1976) au masculin, on mate des torses d’hommes, on échappe à leur douche, ouf, on les voit se moquer d’un maternel orphelin au père lointain, bien sûr à une relecture transposée, paupérisée, de l’increvable L’ É trange Cas du docteur Jekyll et de Monsieur Hyde , auquel la projection d’introduction fait d’ailleurs référence de séance, classe calme dévoilée en travelling arrière. Plus tard, Roger l’enfoiré se fichera du sci...

Le Masque et la Thune

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  Exils # 87 (25/02/2025) Au creux du cadenassé sarcophage, aucun cadavre, un collier congelé, un insecte symbolique, deux bobines de film. Divertissement de cinéma méta, au huis clos à la Pirandello, aux sombres cartons de sons et de noms, clin d’œil au silence du muet, aux faire-part de décès, à un clip iconique de Bob Dylan ( Dont Look Back , Pennebaker, 1967), Le Chat et le Canari (Metzger, 1978) ressemble un brin à une adaptation pirate d’Agatha Christie, délestée du belge détective et de ses « cellules grises », un giallo dépourvu de gants, d’imperméable et de couteau, un whodunit britannique qui met en scène et en abyme l’inquiétude puis la panique. Comme Les Diaboliques (Clouzot, 1955), il s’’agit d’une histoire de terreur et de fric, d’une femme à laquelle on essaie de faire peur jusqu’à ce qu’elle cane. Comme chez Hitchcock, en tout cas celui de La Corde (1948, issu aussi de la scène) et L’Inconnu du Nord-Express (1951), les « frères d’armes » ...

La Belle et la Bête obsolètes

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  Exils # 86 (24/02/2025) Faut-il se méfier d’un film qui se termine sur une porte fermée ? Après les applaudissements du public aux cheveux blancs, riant souvent durant l’ensemble de la séance, on pouvait entendre « pas de violence » en remerciement, sinon en soulagement. Au siècle dernier, à une époque pas encore cadenassée par le moralisme de la nôtre, quoique, un critique, en l’occurrence Serge Kaganski des Inrockuptibles , qualifiait de « pétainiste » Les Enfants du marais (Becker, 1999), au grand dam du cinéaste le menaçant d’un procès. Tandis que le dernier éditorial de Positif , signé Yann Tobin, se félicite des auditions d’une commission présidée par Sandrine Rousseau, avec Rima Hassan la meilleure ennemie de Boualem Sansal, consacrée aux « violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS) commis dans les milieux artistiques et médiatiques, notamment dans le cinéma et l’audiovisuel », se préoccupe de « représentation »,...

Le Pentagramme et le Pentagone

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  Exils # 85 (20/02/2025) Plus drôle que Le Loup-garou de Londres (Landis, 1981), moins jeu de massacre que Mars Attacks! (Burton, 1996), Le Loup-garou de Washington (Ginsberg, 1973) réunit et réussit les registres comique et tragique. Commencé/clôturé en voix off , puissance de la parole, économie du non tourné, il dispose cependant de lycanthropes fichtrement différents de ceux d’ Europa (von Trier, 1991), autre opus politique à tendance hypnotique. Cette fois le chemin de croix affiche des fondus au noir à foison, des lignes de fuite de perspectives filmées en fisheye effet, des plongées et des contre-plongées contrôlées, des surimpressions de transformations. Tout ceci prouve à nouveau que le style se fiche du fric, que le manque de moyens n’équivaut au manque d’idées, que le désir et le plaisir de faire ensemble du ciné, ressenti à chaque instant, à chaque plan, ne conduisent à l’anecdotique ni à l’amateurisme. Selon The Werewolf of Washington , appréciez au passage l’...

Les Démons de Nadia

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  Exils # 84 (19/02/2025) Dans Elles n’oublient jamais (Frank, 1994), l’un de ses premiers films, Nadia Farès malmenait déjà un Thierry Lhermitte en ersatz de Michael Douglas ( Liaison fatale , Lyne, 1987). Dans Storm Warning (Blanks, 2007), elle extermine une famille, un père et deux fils, en Australie, en une nuit. Ce thriller mâtiné d’horreur(s), aux primés effets spéciaux, met aussi un terme momentané à sa carrière, puisque l’actrice des Rivières pourpres (Kassovitz, 2000) ou Nid de guêpes (Siri, 2002) ne reviendra vers le cinéma et la TV qu’une dizaine d’années après, avec à nouveau Lelouch ( Chacun sa vie , 2017) et la série Marseille . Que fit-elle entre-temps ? Peut-être qu’elle « aima », telle Isabelle Adjani, en tout cas elle chanta, comme la cigale de la fable ou la féline d’un clip anecdotique. Anglophone dès Rogue (Atwell, 2007), la voici parmi la « mangrove » d’Everett De Roche, scénariste souvent salué sur ce site, dont le script tr...

Jessica au commissariat

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  Exils # 83 (18/02/2025) Secte + fliquette = œuvrette ? Un peu, pas que, car Jessica Sula incarne Jessica Holden, voire l’inverse. Il faut à nouveau signifier aux féministes que le cinéma classé horrifique, y compris le slasher , qui rend vénères d’américaines universitaires, ne se caractérise par sa misogynie, au contraire d’une multitude de titres mainstream , ne parlons pas de la presse dite féminine. Malum (DiBlasi, 2023) le démontre à sa modeste manière, dépeint en indépendant le portrait d’une policière à bout de nerfs, portée volontaire pour occuper la permanence en soirée d’un poste plus qu’à moitié désaffecté. Autrefois, voilà un an déjà, son papa y tira en pleine tête sur deux collègues au stand de tir, avant de faire fissa sauter la sienne, a priori sous emprise maléfique. Des images d’archives de médiocre qualité documentaient en effet un groupe d’entourloupe porté sur le sacrifice en forêt, pas que de poulet, à Stomy Bugsy mélenchonistes amitiés. Il ne suff...

Il faut qu’on parle de Kevin

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  Exils # 82 (17/02/2025) Selon cette seconde version – je ne reparle de la première, relisez-moi ou pas – d’un « souvenir gênant de l’espace », dixit la réplique du chef des scientifiques et méchant de service, Noir du soir à la barbe blanche, personnage à présent « malaisant », un changement majeur modifie la perspective, en partie piqué au Piranhas (1978) de Sayles & Dante : exit la météorite, place à l’ artefact . Si de jeunes gens incarnent encore de grands adolescents ; si l’ensemble se déroule toujours sur fond de « guerre froide » et de menace mélasse à refroidir, au propre et au figuré ; si la « foi » et la confiance font à nouveau la force, il ne s’agit plus ici de xénophobie fifties , mais d’une manipulation de masse fictive et prophétique. Les hommes en blanc, soi-disant bienveillants, démasqués, menaçants, autant que les militaires d’hier, d’ E.T., l’extra-terrestre (Spielberg, 1982) ou Starman (Carpent...

La Camisole et l’Exode

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  Exils # 81 (13/02/2025) Le même matériau d’origine – La Famille du Vourdalak d’un cousin de Tolstoï – mais pas le même film : La Nuit des diables (Ferroni, 1972) ne décalque le sketch central des Trois Visages de la peur (Bava, 1963). Adios Karloff tendre et féroce, exit le gothique romantique, à ravir et rassurer les amateurs de la Hammer, fi d’une direction de la photographie remarquable et reconnaissable. Nous voici désormais dans les années soixante-dix, décennie de « crise » pas seulement économique, d’audace et de désastre, de doute et de déroute, de « films de fesses » et de MLF, de terrorisme pas encore qualifié d’islamiste. Le caro Mario s’activa vite, opéra fissa sa transformation stylistique, avec le séminal et cynique La Baie sanglante (1971), matrice pas si apocryphe du slasher US et aussi modèle de misanthropie. Le collègue Giorgio mit plus longtemps, douze ans, avant de délaisser la beauté, la singularité, du renommé, du réussi, L...

Voir Venise et crever

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  Exils # 80 (12/02/2025) Venise livide, avortements révoltants, prêtre pervers : Solamente nero (Bido, 1978) évoque davantage Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? (Dallamano, 1972) que d’autres titres tournés in situ , plus connus et reconnus. Adieu donc à Lado ( Qui l’a vue mourir ? , 1972), Roeg ( Ne vous retournez pas , 1973), Visconti ( Mort à Venise , 1971), coucou à Hitchcock, auquel l’ item dérobe la coda de Sueurs froides (1958), annexe le dilemme de La Loi du silence (1953), l’assassin thompsonien de L’Ombre d’un doute (1943). Plutôt préoccupé de culpabilité décuplée, partagée, in extremis assumée, dédoublement stimulant + suicide en prime, que de mortalité matérialisée au sein malsain de la célèbre cité, Terreur sur la lagune constitue en l’état une étude de cas et de climat, démontre l’immoralité du moralisme, affirme en filigrane l’effroi de la fraternité. Variation vénéneuse sur le tandem d’Abel & Caïn, parce que les orphelins le valent bien,...

La Vie de Valachi

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  Exils # 79 (05/02/2025) D’une prison la suivante… Judas baisa puis se pendit, Valachi lui aussi mais survit, fait in fine ami-ami avec l’agent diligent, arroseur arrosé, sénateurs de malheur, plus préoccupés par leur publicité que par la suppression du crime organisé. Point de contemporain Parrain (Coppola, 1972), car Cosa Nostra (Young, 1972) davantage évoque L’Affaire Al Capone (Corman, 1967). Adieu à l’Irlande, on demeure ici en famille, on s’extermine entre Rome et Sicile. À New York l’interlope, in situ et ensuite en studio chez Dino (De Laurentiis), les hommes se galochent et se dégomment, s’émasculent et ne s’enculent, attaque de mecs à la place du ramassage de savonnette. Mamans ou putains, hélas Eustache, les femmes poussent des cris et versent des larmes de bref et sec mélodrame, se produisent sur scène et se prostituent à domicile, trouvent et trompent un mari à demi. De l’initiation à l’information, il suffit d’un conflit ; des funérailles aux fiançailles...