La Maison aux sept pignons : Les Sorcières de Salem

 

Exorcisme ? Libéralisme…

Mélodrame drolatique et adaptation politique, The House of the Seven Gables (Joe May, 1940) fait se croiser La Splendeur des Amberson (Orson Welles, 1942) et Le Comte de Monte-Cristo, tandis que sa « evil house » métaphorique anticipe « l’horreur économique » de Amityville : La Maison du diable (Stuart Rosenberg, 1979). Scénariste bientôt sur blacklist et surtout communiste, Lester Cole ne condamne le capitalisme, ni le (petit) commerce, a fortiori de sucreries à domicile, mais il vomit « l’avidité », « l’égoïsme » de l’américaine « humanité », il les transforme fissa en péché originel, cause d’une « malédiction » d’occasion, médicale et létale. Construit en deux parties et en boucle bouclée, le récit s’amuse de la mélancolie de ses reflets, de ses miroirs dédoublés, sexués. Ici, il suffit d’un fondu enchaîné afin d’au final et durant un instant effacer le poids des années, le spécialiste Jack Pierce s’en occupe et ne démérite. Si Vincent Price & George Sanders assurent, bien sûr, en Abel & Caïn délocalisés du côté de Boston, à la moitié du dix-neuvième siècle, si l’éphémère Nan Grey contredit l’obscurité par sa blondeur en effet « ensoleillée », ce métrage digne de mon hommage appartient bel et bien à Margaret Lindsay (L’Insoumise, William Wyler, 1938 ou La Rue rouge, Fritz Lang, 1945), pivot en stéréo d’un opus qu’elle parvient à rendre parfois poignant et implacable. Produite à moindres frais par Universal, éclairée par Milton Krasner (Ève, Joseph L. Mankiewicz, 1950 ou Celui par qui le scandale arrive, Vincente Minnelli, 1960), musiquée par Frank Skinner, plus tard partenaire de Douglas Sirk, voici donc une démonstration d’exhumation des qualités limitées du classicisme hollywoodien, de son usine rapide, souvent expéditive, mécanique esthétique et civique, mâtinée de manichéisme, de didactisme, moule pas si cool dans lequel sut se couler un exilé allemand du temps, sans doute sensible à la fable lucide d’antifascisme en famille.

L’histoire de spoliation, de superstition, de prison, de profit, de pseudo-sorcellerie, de parcelle, de parricide, d’isolement, de détournement, d’internement, oppose ainsi un vilain avocat, de martingale « illégale », à un compositeur chanteur, charmeur, le Massachusetts à New York, la tradition et la modernité, la rumeur et la vérité, l’espoir et le procès, la peine et la propriété. Pourvue d’un puits pourri, presque à la Ring (Hideo Nakata, 1998) métonymie, la maison en question s’avère vite un « tombeau vide et froid », où vouloir creuser à tort en quête d’un trésor, où décider d’aussitôt s’enterrer, en héritière hilare et amère, d’y crever de solitude, en dépit du défenseur de la sollicitude. Les valeurs s’inversent, le faux témoignage provoque d’irréversibles dommages, les sorciers désormais se substituent aux sorcières d’hier, la chasse ne lasse, le couple de proches cousins subit son destin, la charité des abolitionnistes sert à investir via le marché d’esclaves. Il ne faudrait cependant désespérer, se contenter du constat désenchanté de vêtements mités, de cheveux grisés, de visages délavés. Le personnage du photographe affirme que sa machine, moins lente, moins savante, ne ment, il se trompe, il dit vrai, elle atteste de la beauté de l’orpheline à journal intime, rescapée immaculée, elle met en abyme l’entreprise révélatrice du film, sa dimension de dessillement révisionniste, sus à tous les fanatiques, les hypocrites. Pour revenir vers la vie, réapprendre à sourire, il convient d’accepter de revivre en société, de vaine « vengeance » ses projets rejeter, renoncer à la mise en scène malsaine, au complice contrit porté sur le sonore « réalisme ». Chez les Pyncheon, la généalogie relève de la nécrologie, le pedigree du fait divers, la lignée périclite, gare à la faillite, heureusement qu’il existe l’assurance (sur la mort), la surprenante et cohérente dépossession du manoir d’élection, de tractation, en faveur d’une innocente attachante puis recluse secourable.


Ils incarnent par conséquent une certaine Amérique nordiste, dépeinte jadis avec davantage de rudesse et de style selon Les Rapaces (Erich von Stroheim, 1924). Leur meilleur ennemi, dénommé Matthew Maule, combat quand même contre la nationale amnésie, orateur arrêté d’une « liberté » recherchée, instaurée, par les premiers colons, Européens exilés, au détriment néanmoins des « indigènes » qui les gênaient. La culpabilité individuelle se voit de fait liée à la collective, alors que la moralité se termine de manière très morale, suicide de l’inconscient comptable, étouffement du frère, mariage loin du chantage, baraque retapée à vendre définitivement, ils vécurent heureux, parents de beaucoup d’enfants. Dans Bronco Billy (1980), Clint Eastwood rassemblait ses compatriotes de melting pot sous un chapiteau de drapeaux tissé, de spectacle nostalgique et paupérisé ; dans La Maison aux sept pignons, Joe May l’étranger portraiturait un « pays d’opportunités », de nouveau départ, de gloire, de traîtrise et d’injustice, déclaration d’amour tendu plutôt que déçu, dont l’expressionnisme modéré, acclimaté, pas constant, de Vieux Continent, répond comme un écho démocratique à « l’écran démoniaque » d’une période et d’un cinéma patraques, l’érudite et cosmopolite Lotte H. Eisner ne dira certes le contraire. 

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