Les Traqués de l’an 2000 : Les Révoltés de l’an 2000

 

Les prédateurs et les proies puis toi et moi…

Souvent on sourit, à ces exactions en série, à ce sadisme en effet « excessif », situé in situ, d’Australie issu, mais je jubilai déjà, rictus tendu, à Salò selon Paso, alors… Ici, les amis, les ennemis, du camp de concentration-rééducation, le directeur se dénomme Thatcher, « haut les cœurs », l’un de ses comparses, de littérale « lutte des classes », s’appelle Tito, en écho de Yougo. Ceci ne vous suffit, afin de deviner la  dimension satirique ? Rajoutons donc de foire un freak, loup-garou relou, aux antipodes délocalisé, sur le cannibalisme des orteils porté, des matons émasculés, « fouette, cocher », un rouquin malsain, victime rapide de catch qui tache, une peut-être prostituée, peut-être à tort dénoncée, des buggies bizarroïdes, évidemment rouge sang et, last but not least, d’explicites répliques, comme celle du colosse chauve, néanmoins moustachu, constatant, pas encore d’enterrement, le presque décès, la visible survie, de la pauvre prisonnière, perroquet improvisé, par ses soins démonstratifs démolie. Durant un futur dit indéterminé, dont le totalitarisme assumé, acté, dialogue à distance, désormais, avec celui, à peine adouci, dissimulé, de notre contaminée, lobotomisée, modernité, des « déviants », anciens et récents, servent vite de joli gibier, aux autorités, aux invités, chasse à l’homme et à la femme, menée par des mecs minables + une « salope » pourvue d’une belle arbalète, chouette, salut à sa consœur Meg Foster, portraiturée chez Peckinpah (Osterman week-end, 1983). Petit essai de comparaison « genrée » : à côté des masculines atrocités, fuyard vif enflammé, piège sacrilège, à tendance sodomite, corps écrasé ou sectionné, balle létale de parties génitales, en sus d’un sombre incendie de canne à sucre, tête explosée, because grillage électrifié, les supplices du « deuxième sexe » paraissent supérieurs, puisque très corsés, mentionnons, mine de rien, un viol lesbien, suivi d’un martyre méthodique, des mains d’assassin, à la machette coupées, olé, la face fracassée, volatilisée, de l’amazone guère bonhomme, au moyen d’une flèche de feu d’artifice, fichtre.

Confronté à un tel catalogue, son individualisme de naguère, aussi insulaire, développé hier, aujourd’hui, en « dystopie », Zaroff tire la tronche, tandis que le cinéphile, à domicile, s’amuse, applaudit, assez séduit, par ce plaisant divertissement d’antan. Plus tard auteur du plus sage Le Secret du lac, (re)lisez-moi ou pas, le cinéaste mérite mon hommage, car Turkey Shoot (1982), intitulé spécialisé, idiomatique, pragmatique, constitue, à sa festive façon, un sommet de cinéma d’action. Même amputé d’une partie du budget, du calendrier, illico du script ; même pollué par l’apport et les rapports de David Hemmings, producteur exécutif et réalisateur de second unit ; même massacré par la critique inique, Les Traqués de l’an 2000 « met dans le mille », « fait fi » de la psychologie, s’avère un survival recommandable. Certes, on peut lui préférer La Planète des singes (Schaffner, 1968), superbe épopée, davantage adulte et désenchantée. Certes, le score synthétique, commis par un Brian May peu inspiré, saigne l’oreille. Cependant, cela ne saurait s’assimiler à un double handicap rédhibitoire, ni dispenser d’apprécier l’ouvrage d’un autre âge, à sa modeste mesure, pas si impure. « Ozploitation » ou non, il ne prend personne pour un con, une conne, par exemple le public, succès surprise au Royaume-Uni, rebaptisé d’un ironique Blood Camp Thatcher, par exemple le casting choral, impeccable, saluons l’engagement physique multiple, chic, soulignons que Miss Hussey, la Marie de Zeffirelli, la maman de Norman, Bates, who else?, y montre ses seins, enfin, pas les siens, ceux d’une body double bien dotée, à la De Palma, voilà, voilà. Chacun de ses plans composé, rythmé, l’item nous emmène, ses rebelles malmène, leur accorde une « seconde chance », à l’écart de la souffrance, merci à la mutinerie, malice in extremis.

Une fois la fusillade générale finie, une fois les avions gouvernementaux, bombardiers, évaporés, le couple en route, plus en déroute, retrouve le sourire, le désir, de défier, de fuir, révolte matricielle, de revanche à grande échelle, placée subito presto sous le sceau d’une citation de saison, non sourcée, de Wells : « Revolution begins with the misfits. » Débuté en split screen, générique anxiogène d’images d’émeutes et d’archives, Turkey Shoot pratique en outre l’art du contraste, oppose le paradis du terrain à l’enfer des (in)humains, à l’unisson, disons, de La Harpe de Birmanie (Ichikawa, 1956) ou de La Ligne rouge (Malick, 1998), sans pourtant en partager le pacifisme. Lointain cousin du contemporain Cannibal Holocaust (Deodato, 1980), moins sombre et moins méta, oui-da, le film de Trenchard-Smith n’accuse aucun amateurisme, ne patauge dans la paresse, le spectacle cynique des sévices et du sexe. Répétons-le, n’en déplaise aux censeurs castrateurs, puritains, bons à rien, aux policiers de la pensée, de l’expression esthétique, la violence au cinéma n’existe pas, n’apparaît que sa représentation, intéressante ou non, stimulante ou assommante. Avec ses défauts et ses qualités, l’exercice de style aéré, maîtrisé, plutôt drolatique qu’anecdotique, n’indispose la rétine, au pilori ne se destine, incite, délesté de didactisme, de suffisance, à une forme de résistance, agréable éloge d’une divergence, d’une marginalité, d’une solidarité plus que jamais d’actualité, pas vrai ?  

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