Sept ans de malheur : Le miroir se brisa


Moustache en stéréo, papa par procuration de Charlot, trésor transnational bancal…


Dans le miroir de Max Linder, auteur/producteur/réalisateur lui-même divisé, en acteur renommé, en personnage homonyme, pas de vrai fantôme, seulement un faux reflet, une réplique infidèle, une apparence d’évidence, entre ressemblance et désobéissance, celle d’un domestique mimétique, remarquable Harry Mann. Morceau de bravoure vite deviné, érigé sur du verre brisé, sur une symétrie jolie, la célèbre scène du rasage, salut au sanglant Scorsese (The Big Shave, 1967), s’étire et cependant ne rase jamais, se conclut sur un coup d’éclat, nouvelle glace remplacée fissa, cette fois-ci fracassée par le friqué dessillé himself, en haut-de-forme, au matin plus très en forme, après sa soirée alcoolisée, d’adieu au célibat, les gars. Le futur marié peut tanguer, confondre placard et fenêtre, la caméra ne flanche pas, accumule les figures géométriques millimétrées, par exemple, tout premier plan, cercle de la table d’assemblée prise en plongée, à la Busby Berkeley, puis rectangle du miroir précité, ensuite celui du train lancé, avant les carrés de la cage dangereuse, affectueuse, préservant, paradoxe, des policiers. Quant au triangle, on le retrouve au sein du récit, rivalité de vaudeville d’une comédie du mariage sans cesse contrarié, repoussé, parasité par des péripéties parfois à la limite de la maltraitance animale, je pense au pauvre Frizotto, enfoui au creux d’un vase rempli d’eau, à cause d’une malédiction à la con, quoique. Lorsque le sort s’acharne, il convient de s’arracher, de faire (re)faire ses malles, de se faire détrousser illico par un trio de pickpockets presque à la Sennett. L’aimable Max engrange les gags avec élégance, prestance, persistance. En 1921, à Hollywood, le Français maîtrise son sujet, déploie sa discrète virtuosité, sans l’étaler, sans l’user.


Quatre ans plus tard, Linder dira au revoir, Linder deviendra suicidaire, Linder se tuera en tandem, je t’aime, je t’épouse, je te jalouse, je ne divorcerai pas, je t’emporte dans la tombe avec moi, je t’empoisonne aussi, ma mie. Pour l’instant, le voici fringant, plein d’allant, de talent, plus chic que Chaplin, moins social, néanmoins. Pour l’instant, le voilà également terrifié par le trou noir causé par sa godasse lancée sur la surface inversée, comme s’il semblait déjà y percevoir le puits du désespoir, son propre esprit détruit, intime vide noir. Certes superstitieux, peut-être prophétique, « Max Linder » change d’air, précède Buster Keaton à bord de son tortillard méta, rematez Le Mécano de la « General » (1926), les rails de la voie ferrée deviennent avec naturel ceux du travelling avant, se retrouve in extremis au milieu d’un tribunal de retrouvailles, réconciliation et non condamnation. Déguisé en chef de gare éphémère, il fuit les bagnoles fofolles des supposées années folles, les chevaux au galop, il sert, gratuitement, une femme noire voyageant vers La Nouvelle-Orléans, qu’il qualifie, dépourvu de miel ou de malice, de honey child, fichtre. À force de trop gratter le dos d’un jail bird dingo, notre héros (se) rêve aussitôt de ses noces au sein d’un éden à la Citizen Kane (Welles, 1941), doux Xanadu dérangé par des bathing beauties, Sennett bis, par un gynécée enterré, bigre. À la barre, Linder embrasse sa promise, dissimule son baiser à l’aide d’un grand chapeau, le juge s’abrite derrière sa bible ; le voleur volé revient dans sept ans, selon le sillage de sept enfants ressemblants, de toutous foufous. On le voit, on le lit, tout ceci virevolte et séduit, élancé, racé, modeste et jamais leste. Le malheur arrivera, confirmera, écourtera : Max Linder demeure majeur, point moqueur, clair et obscur, gloire gâchée mais incapable d’imposture – un must, disent les comiques et les tragiques d’outre-Atlantique.


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