Temple : Promenons-nous dans les bois


Soixante-dix-huit minutes en forme d’insulte à l’intelligence et à l’existence.


« Ce temple vous rendra malade » et ce film aussi, d’une anémie interminable à transformer Apichatpong Weerasethakul en émule vitaminé de Michael Bay. Une forêt, des égarés, un caméscope, des phénomènes paranormaux comme il faut : le scénar nullard délocalise la sorcière de Blair du côté de Tokyo puis se fend d’un retournement final censé jouer sur l’ambiguïté de l’histoire et du récit, sur la duplicité du point de vue et le brouillage du témoignage. Une momie sous cloche médicale évoque sa virée triangulaire, dépressif platonique flanqué d’un queutard pathétique et d’une étudiante en croyances, mon Dieu. Cela finira par une pendaison/lapidation de saison, un ensevelissement en compagnie d’une kitsune – préférons celle de Katsuni – et un stylo planté dans le cou du traducteur. Les plus indulgents apprécieront la direction de la photographie, la chute de reins de Natalia Warner. On doit ce ragoût relou au signataire du sympathique mais très anecdotique Dead Birds, western horrifique placé sous le signe d’Ambrose Bierce, à son homonyme, obscur DP de ciné, de TV titillé par la réalisation, ah bon, à la Toei Animation, passons. Sur le papier à en-tête de la production, cela pouvait sonner à la façon d’une réconciliation, le Japon et les États-Unis enfin réunis, merci à une filmographie d’influences, à l’unisson de Yakuza, à proximité des remakes, cf. les alternatives outre-Pacifique de Ring et Ju-on. Trois étrangers découvrent une capitale nocturne, visitent la province humide. Si seulement le métrage savait jouer de cet exotisme anxiogène, convoquer une altérité radicale, tant pis pour la langue parlée partagée, s’exprimer dans l’idiome des contes pour adultes, de fées qui effraient, au lieu de valider une insipide ambivalence, de recouvrir sa schizophrénie diégétique-scopique d’une dichotomie culturelle et cultuelle scolaire.



Nos gaijins en goguette, à dégager, n’écoutent pas les indigènes guère amènes, ne savent pas lire les indices, les prémices aveuglants d’aveuglé. Il semble qu’ils s’enfoncent dans une errance de mauvaise conscience, dans une quête spirituelle ou sexuelle débouchant sur le néant. « Tu n’as rien vu à Hiroshima », tu n’en verras pas davantage là. Et le spectateur impatient, trop patient, clément ou point, paraît tenté d’imiter le suspect in fine fuyard en mode Lazare. Temple ressemble à un avatar inanimé, décérébré, se pose en perdant programmé dans le sillage de la plaisanterie sinistre et lucrative du vrai-faux testament à tente médiatisé, marketé, du tandem Myrick & Sánchez, apprentis profanateurs sans cœur ni saveur du Cannibal Holocaust dû au caro Deodato, retournés depuis à un anonymat bien mérité. Répétons que le cinéma dit d’horreur – non aux genres, oui aux imageries – représente son meilleur ennemi, qu’il privilégie ce type de produits, de navets à déverser sur la rétine en ligne, adolescente ou non, vieux fond de pédophobie éventée en réponse d’attraction-répulsion à son jeunisme épuisant. « Décevant » dit le petit ami émoustillé par une mine désaffectée à propos de l’édifice sacré, abandonné – alors se cristallisent et se métaphorisent l’inanité du projet profane, sa carence de transcendance et sa matérialité d’épicier. Cinématographie merdique, rachitique et amnésique, abreuvée à l’authenticité, à l’effet de réel, au radotage, au papotage, qui méprise les puissances spectrales de la caméra, cherche à faire peur avec du hors-champ navrant, agite des pantins mesquins de MJC américanisée. Un certain Jésus à Jérusalem voulut naguère, foi ou pas, pardonnez-nous notre athéisme substitué aux offenses, chasser des marchands parasitant un espace consacré : Temple démontre qu’ils règnent toujours, mon amour, qu’ils projettent des ombres immondes sur un mur en ruines, près d’un feu éteint.



Que les pharisiens de la critique assermentée ne se réjouissent pas, cependant, puisque cet échec collectif et individuel indique en écho celui du cinéma mainstream, mis en valeur chaque mercredi à vomir, à blêmir. Aucune nostalgie, myopie, enterrement mesquin du contemporain, via le clavier rêveusement énervé, rien qu’un appel contre l’imposture, un désir de brûlure, une élévation enracinée dans les gouffres. Les films peuvent-ils encore terrifier, épouvanter avec la vérité, formaliser le fantastique du quotidien, nous donner à voir, à émouvoir, un corps condamné à mourir, un esprit capable de résister au pire ? Parions-prions pour l’affirmative, ou bien souhaitons que tout ceci disparaisse au creux d’une canopée dantesque, se fasse dévorer par des enfants affamés, périsse jusque dans les réminiscences et les correspondances. Afin de renaître, sinon ressusciter, le cinéma de l’effroi, le cinéma en soi, doivent crever, s’incinérer. Peut-être, par conséquent, nous mettrons-nous ensuite à briller enténébrés, à nous consumer au centre du terrible ravissement, devant et au-delà de l’écran, ici et maintenant.



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