Épouvante sur New York : Manhattan Baby


Longue-vue de mateur amateur et cinéaste dissident plaisamment professionnel.


Comme si Le monstre est vivant rencontrait Meurtres sous contrôle : l’aimable Larry Cohen entrecroise la préhistoire et les sacrifices mayas, voilà. Il rend hommage à Willis O’Brien & Ray Harryhausen. Il troque l’Empire State de King Kong contre l’immeuble Chrysler de sa créature dans les airs. Il filme New York aussi bien que Ferrara & Scorsese. Il survole la « ville qui ne dort jamais » et semble passer ses journées sur des toits, à bronzer, à bâtir. Voici une Amérique sympathique de laveur de carreaux et d’employée de bureau, d’oisive lascive et d’ouvriers affamés, de serveuse amoureuse et de clodo endormi, de flic documenté et de prof d’université, Columbia, bien sûr. Un piètre pianiste braque une bijouterie en compagnie, égare le magot, devient le témoin des festins nus de la monstruosité ailée. Un œuf tu trouveras, un autre se fendra en coda. Cohen convainc, Cohen surprend constamment, Cohen démontre que la modestie des moyens n’équivaut pas à une pauvreté d’imagination ni ne sert d’alibi à la paresse, à l’absence de regard et de style. Son film va vite et emporte dans son élan, il amuse souvent, il suggère et expose avec parcimonie. Le final constitue un tour de force d’action désargentée, très habilement menée. Si retrouver David Carradine & Richard Roundtree s’avère évidemment un agrément d’enfance télévisée, de cinéphilie « blaxploitée », Michael Moriarty, futur camionneur des « maîtres de l’horreur », représente la vraie révélation du métrage, sorte d’anti-héros à la Jim Thompson, entre sensiblerie et folie, candeur et rouerie, anonymat et racisme. Candy Clark, femme belle car réelle, à des années-lumière du savoir-faire d’usine du réservoir hollywoodien, le supporte, le materne, l’héberge, se révolte. On aperçoit dans son appart du Dante Gabriel Rossetti et du Christopher Lee.



Le « minus » se voyait déjà millionnaire municipal, il déchantera, retournera à ses auditions canines. Ici, à défaut de « quart d’heure de célébrité », du sang pleut, riche idée économique. Ici, on découpe du macchabée puis du poulet. Ici, les gargouilles arborent des têtes d’aigles en présage de la rapacité du Bûcher des vanités. En 1982, le World Trade Center tient encore debout et avec lui l’arrogance de Reagan. Épouvante sur New York manifeste ainsi sur un mode drolatique et terrifique le « retour du refoulé » pas seulement animalier, lutte pour la survie des espèces logiquement et symboliquement sise au sein d’une jungle d’asphalte, un salut à John Huston. Au sol ou en hélico, Cohen ne prend rien de haut, ne nous prend pas pour des idiots, il trousse tout ceci avec énergie, doté de sa propre personnalité. La partition inspirée de Robert O. Ragland l’accompagne en continu, joli main title aux sonorités fifties inclus. « Cinéma du samedi soir », bande de drive-in, pelloche pour mioches ? Cédons aux fanatiques de l’étiquette suspecte, du classement désolant, de l’hyperbole « genrée » ce type de locutions à la con. Célébrons à sa juste mesure cet opus obscur, chu dans l’oubli à l’image de son prédateur en apesanteur. The Stuff, L’Ambulance, Les Envahisseurs, Columbo, Pacte avec un tueur, Maniac Cop, L’Avocat du diable, Phone Game : le corpus de Larry Cohen parle pour et de lui-même, du ciné pensé, façonné en divertissement intelligent, marrant, inquiétant, en ouvrage à la fois singulier/collectif, famille de création et de discrétion à la Cassavetes. Alors allez croquer sa pomme de conte pour adultes pas si grosse ni rosse dépourvue de pépin, de spectaculaire mesquin, de bruit anodin, histoire de laisser éclore le plaisir d’une nuit et d’une cinématographie amie, oui.

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