Les Démons du maïs : Les Enfants du paradis


Semer le chaos, laisser germer la haine, travailler au regain ou à la révolution. 


Redécouvrant Children of the Corn, on pense à Take Shelter, aux Révoltés de l’an 2000, au Village, on ne fait qu’y penser, sans se risquer à une comparaison de toute façon à la con au regard des différents contextes historiques autant qu’économiques. Bien sûr, le métrage affreusement sage s’avère au final, blague de carte postale incluse, aussi vide et plus insipide qu’un grain de maïs soufflé, car le scénar assez nullard de George Goldsmith trop étire la courte nouvelle pédophobe et anticléricale de Stephen King issue de Danse macabre, recueil paru sept ans (de malheur) plus tôt. Bien évidemment, le débutant texan Fritz Kiersch retourna vite ensuite à un anonymat mérité, malgré tout le fric empoché par le premier volet désargenté (luxe discret de plans à la grue) d’une franchise inter-minable aussi juteuse qu’une purée d’épis. Et pourtant ce « film culte », ironie de l’accueil public singeant la diégèse guère balèze, ne mérite pas le mépris, séduit en mineur par sa modestie, permet parfois apercevoir, sous son manichéisme conventionnel, sous son inanité télévisuelle, le grand film inquiétant qu’il pouvait devenir, avec davantage d’audace, de travail et de talent – pas spécialement de « moyens », cet alibi rassis des petits étatistes hexagonaux tellement attachés à leurs acquis de caste, cette antienne rassurante des artistes amateurs et pleurnicheurs ne comprenant toujours pas qu’ils ne doivent compter que sur eux-mêmes et cracher sur les subsides assermentés-formatés du CNC. En partie produit par les studios Hal Roach, alors compromis dans de méprisables colorisations de saison, citons celles de La vie est belle et La Nuit des morts-vivants, en partie mis en place sous la houlette (ou la serpette) de Donald P. Borchers, par ailleurs producteur du contemporain et moins serein Les Jours et les nuits de China Blue (on ne sort pas du confessionnal, on s’y fait désormais fesser), distribué par la New World Pictures de Corman and Co., Children of the Corn (1984) récolta plein de billets (encore) verts, remporta plusieurs fois sa minime mise de départ.

Il bénéficie de trois apports importants : Linda Hamilton, sur le point d’incarner la Sarah Connor de Terminator, interprète ici une juvénile Vicky vivement crucifiée-épinglée sur un pal végétal. Déguisé en Raoul Lomas, pseudonyme à la masse, João Fernandes, naguère partenaire précieux de Gerard Damiano sur Gorge profonde et L’Enfer pour Miss Jones, plus tard acoquiné à Chuck Norris sur Invasion USA, Portés disparus, Delta Force 2 et Walker, Texas Ranger, éclaire avec brio des champs troublants et des cieux aveuglants. Jonathan Elias, compositeur de formation classique, spécialisé dans la publicité, accompagnateur de bandes-annonces, collaborateur de Grace Jones, Emmylou Harris, John Barry, Duran Duran ou Yes, auteur de chansons pour 9 semaines ½ + Chaplin, signe une partition inspirée, au thème entêtant à l’unisson des synthétiseurs lancinants de Halloween et de la chorale infernale du Amityville de Lalo Schifrin. L’ensemble ne saurait certes suffire à façonner un bon film mais apporte de la vie, de la beauté, une certaine puissance d’évocation à un ouvrage de surface néanmoins pas atteint de cynisme ou de puérilité, en dépit de son « sujet » éventé. Si l’on se méfie des gosses, surtout au ciné US, depuis les années 50 et 60 – remember Le Village des damnés remaké avec le cœur par Carpenter, une pensée pour l’émouvante Linda Kozlowski, blonde à crocodile d’Australie, retirée des affaires afin d’éviter l’ulcère, je comprends et compatis –, période d’émergence là-bas puis partout ailleurs de l’adolescence en tant que groupe social, que cible commerciale, si la décennie 70 ne leur fit pas de cadeau, je renvoie vers L’Exorciste ou La Malédiction, le règne reaganien sombra dans une pédophilie jolie sous patronage spielbergesque. Children of the Corn, aka un explicite Horror Kid au pays de Racine, cristallise une sorte de réponse « réactionnaire » à cet envahissement des écrans par une meute de marmots énamourés d’extra-terrestre téléphoné ou de chasse au trésor immobilière (Les Goonies de Dick Donner).




De manière cohérente, Stand by Me (1986), c’est-à-dire à nouveau King cette fois transposé avec sensibilité par Rob Reiner, apportera à la marée dangereusement régressive, surtout dans le sillage des expérimentations excessives et déjà désenchantées des seventies, un rafraîchissant courant de nostalgie, de mélancolie. Le poignant passage à l’âge adulte, la quête du cadavre de sa propre enfance, Children of the Corn s’en balance, il se situe sur un autre terrain, celui de la terreur rurale, du culte païen et puritain, il se déploie dans le cadre d’une Americana à perte de vue, aux habitants perdus, l’Iowa du tournage valant bien le Nebraska du récit, en tout cas pour un spectateur européen ou un native magnanime. Les mauvais esprits ne manqueront pas de remarquer que l’évidement des plans, des panoramas, des rues, résonne avec l’anémie de l’argument, sa maigre consistance testant votre patience. Par-delà cette évidence, l’opus parvient à installer un climat anxiogène, un sentiment de désolation (clin d’œil à un pavé de Steve), une absence d’horizon adossée au paradoxe de sa présence dépressive. Le prologue fonctionne ainsi comme un saccage du décor iconique de Happy Days, du diner à la Norman Rockwell (dans Dead Zone, le taquin Cronenberg annexera l’imagerie radoucie, lui injectera son existentialisme canadien). Les adultes, les adeptes atteints d’acné s’en débarrassent fissa, et les plus jeunes, ma foi, survivront au sacrifice avec malice de leur paternel achevé au hachoir. Il faut dire que la sœurette, un peu pythie de small town d’outre-Atlantique, dessine (mise en abyme « inconsciente » du story-board) par avance les événements du déroulement, cela lui valant sûrement la vie sauve, même si les majeurs connaissent un sort similaire aux condamnés calendaires de L’Âge de cristal, leur corps dévoré par des effets spéciaux falots.

Tandis que sur le terrain malsain des bambins endoctrinés, habillés à la mode amish, indeed fanatiques (double sens) de flic squelettique, une curieuse créature se manifeste en sillons mouvants, dans l’écume des vers stellaires (voire solitaires) et géants de Dune, la coûteuse plaisanterie de Lynch se prenant pour Lean, un médecin et sa compagne, pas son épouse, tant pis pour les prêches radiophoniques hystériques, traversent le paysage, au risque d’y faire naufrage, de partager le sort d’un pauvre pompiste (R. G. Armstrong, régulier de Peckinpah) complice des mioches de missels exécuté par leurs soins à la suite de son chien prénommé Sergent, vlan. En guise d’offrande de bienvenue, nos tourtereaux munis d’une carte, nonobstant égarés, revenus au point de départ, à l’instar de Sam Neill dans le dédale lovecraftien de L’Antre de la folie, reçoivent un fuyard égorgé, jeté sur la route pour leur déroute, de quoi irriter le leader de la secte pubère, un certain Issac en bisbille avec un Malachi plus haut que lui. Nos minots baptisés d’après les prophètes-protagonistes bibliques rejouent en réalité un ersatz religieux de Sa Majesté des mouches et le toubib se voit désigné pour les soigner, par exemple en cramant la forêt craquante à l’aide d’essence et d’un cocktail Molotov maison. In extremis, tout rentre dans l’ordre « naturel », générationnel, le père et la mère par procuration adoptant illico l’agile Job, un temps maladroit narrateur off, et sa Sarah dessinatrice, amen, contrairement à la sombre nouvelle du bouquin deviné sur le tableau de bord. On le voit, on le lit, Children of the Corn ne brille ni par son histoire exsangue, son rythme assoupi, sa réalisation de mormon. Il brille autrement, tel un film fantôme à base de parricide, de matricide, d’infanticide, bouche d’ombre hugolienne (grand-père pédagogue) ouverte sur une comptine maudite, une cérémonie de semailles ensanglantées, une messe noire aérée réservée aux mineurs.




Cela vous donne envie de revoir l’ouvrage radical, spectral et magistral de Narciso Ibáñez Serrador, précité supra, célébré par votre serviteur solaire, sudiste ? N’hésitez pas à le visionner, en effet, juste avant d’embrasser vos garnements charmants, et s’il vous reste quatre-vingt-dix minutes de rabe, risquez-vous à parcourir ce Children of the Corn fantomatique, miroité, promesse à la place de résultat, qui dans ses nombreuses imperfections peut consoler, en accéléré, des innombrables « navets » – terme idoine – cultivés par notre modernité de ciné, quand notre âme mature n’appelle qu’à un brasier des salles et des cinéastes (du reste de cette société desséchée, pourrie sur pied ?). Brûle, sorcière (qui m’indiffère), brûle et que sur tes cendres fleurisse la renaissance d’un art majoritairement inanimé, pétrifié, terrifié, mort-né. Ou alors, continuons comme des cons à nous gaver de pop-corn devant la dernière connerie intergalactique, en collants, ou à nous astiquer en compagnie d’auteuristes perfusés aux deniers publics. Ça vous dit ? Pas à moi, non merci.

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