Enrico en écho
Exils # 129 (23/09/2025)
Le Vieux Fusil (1975) développe le souvenir versus le pire de La Rivière du hibou (1961), court-métrage remarquable, remarqué, très primé, vrai-faux survival sensoriel et cruel, dialoguant à distance avec La Jetée (Marker, 1962), autre conte (à rebours) d’une mort retardée, du désir d’Eurydice. Romy remplace Abby au ralenti, les vélos et cabot la balançoire des marmots, le médecin assassin le civil exécuté – le mort-vivant « l’homme vivant ». Car le cinéma sert aussi à ça, ressusciter les dames idéalisées, adorées, magnifiques mais massacrées.
De la guerre de Sécession à la guerre de l’Occupation, la barbarie s’installe à la Barberie. Comparé à Noiret, le Hoffman des Chiens de paille (Peckinpah, 1971) se limite à un amateur, les luttes de territoire se terminent en automobile, sidéré ou bouleversé. Le toubib porté sur la chevrotine esquive in extremis la terrible lucidité, se réfugie en esprit au perdu paradis, musiqué par le noyé de Roubaix. Derrière un miroir sans tain ni lendemain, cadre d’écran, il mate les nazis, revoit Clara, assiste à une séance de ciné improvisée, à domicile et petit comité, où la seconde épouse, à nouveau courtisée, bientôt triste d’être (mal)heureuse, belle-mère sombre et solaire, leur fils s’appellera David, tel celui de l’actrice dans la vraie vie, brille à Biarritz, coiffée façon Princesse Leia, spectre svelte et dupliqué, immaculé, de home movie avili. La division dégommée, mécanique mutique, démonstration ironique, le fusil dissimulé au sommet de l’église, Oradour mon amour, l’officier nostalgique et sacrificiel se fait à son tour enflammer.
Enrico converti au rape and revenge des seventies ? Oui et non, la franco-teutonne co-production, n’en déplaise aux bien-pensants et mal critiquant qui la vomirent, au public qui l’applaudit, aux professionnels de la profession qui la récompensèrent naguère, ne s’apparente à un pénible exercice d’hexagonal exorcisme, une entreprise cynique et révisionniste, même si elle participe de la volonté revendiquée de Schneider d’assumer une germanique culpabilité. Ni manichéenne, cf. la milice sinistre, la silhouette guillerette du docteur Müller, ni malsaine, l’extermination n’accorde aucune solution, représente à peine un répit à la douleur, à la folie, cette reconstitution cathartique se soucie de sentiment plus que de ressentiment, préfère la viande à la revanche, vérifie au final les bonnes intentions infernales.
Boulevard du rhum (1971) manie déjà la mise en abyme et s’achève dans une salle de ciné désertée, où le rêveur Ventura se voit sur grand écran (de ses nuits blanches, alcool de Claude), anticipe ainsi L’Antre de la folie (Carpenter, 1994), cinéphilie face à une épiphanie, capable comme Truffaut and Co. de courir les séances et parcourir les distances, contrebandier imbibé invité à la Villeret (Le Dîner de cons, Veber, 1998), anti-héros maso de BD animée, au dolorisme inoffensif, au rythme poussif. Enrico ne décalque de Broca, s’intéresse au cinéma, troque les sœurs d’Eurydice contre une actrice au carré, BB mutine et mutique s’amuse de son mythe, reine à la Andress (La Déesse de feu, Day, 1965) et sauvage à la Welch (Un million d’années avant J.C., Chaffey, 1966), sirène incertaine puisque chanteuse capiteuse (Marchand chante).
On surnomme « King Kong » l’ex-Gorille, avec ou sans béquille, modèle de masculinité démuni de moderne toxicité, dont le sentimentalisme s’autorise au réalisme, cette femme-là pas pour moi, alors adieu « dame de mon cœur » et de mon bienheureux malheur. La belle Linda Larue, pseudonyme explicite, délaisse donc sa Bête un brin bébête, adepte du carton concon sur « l’appartenance à la civilisation ». À sa vie agitée, digne d’un film d’aventures dédoublé, entre bataille navale inaugurale bleu pétrole et remake économique, laïc, du martyre de saint Sébastien, entre mission à l’abandon et jalousie des collègues de confrérie, entre idylle aux dessinés sourcils, gramophone aphone, engatse d’autographe et traître + duel d’opérette, Cornelius ne cesse de renoncer, ne désire en définitive qu’adorer une idole des Années folles, image mirage, sa première apparition en vrai, sur une plage évidemment abandonnée, gare aux coquillages et aux crustacés, annonce celle de Derek selon Elle (Edwards, 1979).
Troisième partie d’une apocryphe trilogie, après Les Grandes Gueules (1965), bagarre bis et Les Aventuriers (1967), mercenaires en mer idem, Lino rempile, Bardot déprime, le couple d’entourloupe se détesta, cela ne se voit, la co-production cosmopolite et exotique, à la saveur sudiste et décorative, abrite en sourdine et en musique une mélancolie méta, mais ceci certes ne suffit à en faire du diverti Melville, malgré le caméo de l’iconique Cathy Rosier (Le Samouraï, 1967).
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