Mais 68

 Exils # 28 (11/04/2024)

Avec Cathy

2024 vous rend patraque ? On compatit, s’exile aussi, de notre époque médiocre, à l’art de désespoir. « Forget 68 », préconisait le pitre Cohn-Bendit : si désormais, merci à l’amitié, février revêt une relative valeur, suivant votre serviteur, qui malheureusement ne croit au bonheur, a priori celui promis par la petite bourgeoisie, sa pseudo-révolution à la con, sa lutte ouvrière de naguère, de chimère, ses « CRS SS », pourtant Pasolini les applaudit, ses pavés de plage, son « réactionnaire » héritage, il ne s’agit ici de gémir de nostalgie, de ressusciter un passé franco-français, enterré plutôt que regretté, mythifié, démystifié, aux dépens d’un présent lui-même épuisant, peu « épatant ». La production cinématographique peut paraître parfois prophétique, l’hypnotiseur Caligari en prédécesseur de Hitler, professe Kracauer, le spectateur regarde toujours dans le rétroviseur, car l’écran, « démoniaque » ou non, Eisner selon, au temps différent, dirigé, « scellé », dixit Tarkovski, n’en déplaise à Zelensky, fonctionne à l’imparfait, ranime maintenant l’instant d’avant. Les photographies et les films, en définitive, de façon définitive, s’affichent ainsi en arts funéraires, ma chère, peu importe la prise de conscience, son absence, de leurs sujets, leurs objets, enjolivés et envasés. Mais 68 ne se résume à Mai 68, ni à ta première naissance comme ma deuxième chance. Cette année-là, ensuite s’époumonera le peu politiquement correct Claude François, ça se mutine à la Cinémathèque, revoilà le viré Henri Langlois, ça déconne à Cannes, Roman Polanski encore en ricane, ça discute exemption des droits de douane, le métrage réclamé produit culturel, telle, plus tard, l’européenne et ironique « exception » du même nom. Du triple psychodrame hexagonal, les Ricains s’en balancent un brin, se soucient de classification, aux mineurs d’interdiction, of course des Oscars, consacrent à cinq reprises Dans la chaleur de la nuit, le récemment décédé Norman Jewison aujourd’hui s’en tamponne, récompensent Le Lauréat (Nichols, 1967), de Mrs. Robinson/Bancroft les (é)ba(t)s, convient Katie (Hepburn, Le Lion en hiver de Harvey, award anglais pour Devine qui vient dîner..., Kramer, 1967, Poitier rempile).

À Locarno, veto illico, contestable trio, l’URSS, la RDA, la Hongrie proclamés pays ennemis, depuis le tchèque coup de Trafalgar des intrusifs et massifs chars, « toute ressemblance » avec le conflit en Ukraine, déconfit et actuel, tout sauf « pure coïncidence ». À Rome, l’arôme banal du scandale réjouit le récidiviste Pier Paolo Pasolini, à cause de la sortie du presque consensuel Théorème. Des foudres des furies néo-féministes autrefois à l’abri, cependant déjà poursuivi par un soupçon de sorcellerie, l’aimable Roman squatte les salles nationales, grâce aux satiriques et mélancoliques Le Bal des vampires (1967) + Rosemary’s Baby. Face à lui, Truffaut ne fait défaut, fustigeur de festival, des assez dispensables La mariée était en noir + Baisers volés réalisateur et responsable. Kubrick se paie un trip (2001, l’Odyssée de l’espace), Leone dégomme (Le Bon, la Brute et le Truand), Resnais radote (Je t’aime je t’aime), Zeffirelli (nous) assoupit (Roméo et Juliette), Yates accélère (Bullitt), l’interminable gendarme de Girault se marie, tant mieux pour lui, tandis que cartonne Le Petit Baigneur (Dhéry), sans doute en raison de sa bonne humeur. Alain Delon, que tu n’aimes pas, cara mia, ne perd point la tête, voire la recette, pactole à se disputer entre pénibles héritiers, mais dis Adieu l’ami (Herman), Bronson rigole. Dans la distribution, pas que du bon, en dépit du pionnier diptyque The Party (Edwards en vidéo) + La Planète des singes (Schaffner en dysto), accessit au sexy L’Affaire Thomas Crown (à l’instar du fameux facteur, Jewison deux fois sonne), à bas Barbarella (Jane Fonda que redessine Roger Vadim), marre de La Chamade (Brigitte Bardot relookée par Alain Cavalier), alors que l’oscarisé et à succès Funny Girl (Streisand by Wyler) à demi se casse la gueule. Aux États-Unis désunis, réunis, Cassavetes magnifie ses Faces (en 16 mm), Romero documente/transcende les affrontements sociaux (La Nuit des morts-vivants, ouvert via un cimetière, où se terminait le western italien précité). En mars, Dreyer dégage, dommage, en novembre, Mireille Balin le rejoint, parce qu’elle le valait bien. Au milieu délicieux de sa mousse maousse, Sharon Tate sourit à son futur mari Roman Polanski et à la vie, rend triste et ravit, en doux-amer écho à Romy Schneider & Annie Girardot.

Dans l’à moitié loupé La Vallée des poupées (Robson, 1967), déguisée en sentimentale starlette de stupidités classées « sensuelles », il faut un talent évident afin de n’en incarner aucun, elle devait subir une mastectomie, c’est-à-dire ne plus parvenir à subvenir aux besoins et aux soins de son malade petit ami. L’altruiste actrice au carré décidait donc de se suicider, deux ans avant qu’une certaine Susan Atkins ne décide de l’assassiner, au sein malsain des atroces circonstances que l’on sait, puis dès le lendemain, change pas de main, oh oui, préconise Vecchiali, de remettre ça, avec le méconnu couple LaBianca. Pas seulement au cinéma, le crépuscule des secouantes années soixante annonce ainsi de la décennie suivante l’américaine nuit, pain béni et maudit de l’horrifique imagerie, Craven (La Dernière Maison sur la gauche, 1972) & Hooper (Massacre à la tronçonneuse, 1974) observateurs sans peur. Durant ces sombres et audacieuses seventies, en France d’enfance la grisaille s’installe, en Allemagne et en Italie le terrorisme d’extrême gauche sévit, Aldo Moro mis KO, en auto, Jean Seberg, dépressive Parisienne, s’en souviendra peut-être, l’année d’après, qui sait. Pourquoi aimer un film ou aimer une femme ? Pourquoi la séquence ou la présence désarment ? Les cinéphiles nécrophiles, masculins ou moins, affectionnent les muses mortes, pas de leur faute, moche reproche, saluons certes ces Eurydice de miroir mouroir réflexif. Toutefois fréquenter l’amie vivante, amusante, émouvante, parfumée et parfumante, permet de mieux respirer, de la pellicule ou des pixels peu à peu s’émanciper. Le clair mystère de l’attirance des contraires s’expérimente ensemble, bain de jouvence à défaut d’abysse de jouissance, fidélité délestée d’infidélité, attentive et attentionnée. À Cathy la calamiteuse Amélie, à moi-même le frêle fantôme de Sharon, à nous deux nul avenir radieux, quoique, davantage des moments immanents nous appartenant, en pleins air et lumière, paroles et musiques, silences explicites.              

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