Flavors of Youth : Nouvelle cuisine


Se retourner sur ses pas pour mieux aller de l’avant.


Les crayons dans les cassettes
Je rembobine, tu te souviens

Calogero, 1987

À défaut d’être savoureux, ce dessin animé Netflix possède un certain goût doux-amer, celui de la nostalgie. Surplombés par une voix off réflexive, trois récits successifs de longueur inégale (15 minutes + 30 x 2) essaient de rattraper le temps perdu, y parviennent in extremis et jusqu’après le générique, lorsque nos personnages principaux se retrouvent dans la même salle d’attente du même aéroport, boucle bouclée de coda ouverte sur le ciel unique des possibles multiples. Des nouilles de riz, une robe rouge, une cassette obsolète : le passé se cristallise au moyen d’aliments et d’objets qui le retiennent et le ressuscitent, telle une fameuse madeleine proustienne. L’action du triptyque se situe en Chine, en 1999, 2002, 2008 ou 2020, mais la sensibilité (lumineuse) du regret arbore une nationalité nippone, de superbes cerisiers en fleurs éphémères puisque vite fanés. L’intitulé explicite d’une bande magnétique, « Un peu de pluie puis le soleil », résume l’esprit de l’entreprise, sa volonté de dépasser la stase, d’accorder une seconde chance au restaurant fermé, au mannequin anémié, au premier amour maltraité (putain de père à sparadrap). Sur le terreau à la fois urbain et rural du mélodrame poussent des sourires, sèchent des larmes. Le souvenir immortalise et magnifie une queue de cheval de collégienne à vélo agitée dans la lumière du matin. Un rêve d’hôpital ranime la mère couturière avant son héritière désargentée, hébergée par sa grande sœur à la célébrité momentanée. Une course d’adulte permet enfin d’écouter un aveu d’adolescence bientôt séparée.




Se remémorer (l’aimable, le désagréable), se savoir constitué, traversé, par la traversée d’une vie, des vies d’autrui, espérer le retour du meilleur, identique et différent, ne pas mépriser le présent, ne pas y survivre en mort-vivant – parce qu’il évite la complaisance et les jérémiades, parce qu’il opte pour l’élégance d’un nouveau départ en triple exemplaire (trio en écho assourdi à Jules et Jim), Flavors of Youth (2018) séduit durant sa brève déclinaison des saisons de l’existence, sa variation en co-production, prolongée, reformulée, du thème idem. Bien sûr, RAS en matière de réalisation et la musique sucrée ressemble souvent à un ersatz discount des compositions pianistiques de Joe Hisaishi. So what? Le métrage tricéphale ne sert pas la soupe du passéisme idéalisé, ni ne refourgue le plat rassis du jeunisme amnésique. Au lieu de chercher à rassurer, il tente de réconcilier les époques et de cicatriser les blessures, au propre, au figuré. Malgré son architecte et ses maisons (ses maquettes) promises à la destruction, pas de Quartier lointain à l’horizon, davantage un hommage en mineur au courage de partir, de revenir, de tenir un motel amusé des traces de jadis, cf. l’étroitesse d’un escalier. Haoling Li, Yoshitaka Takeuch (effets visuels sur Your Name.) et Xiaoxing Yi signent ainsi un ouvrage asiatique, transfrontière, certes trop sage, cependant assez plaisant, pont crépusculaire et tournesols solaires compris. Sinon, il vous reste Tarkovski ou ma mélancolie.

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