Zone d’intérêts
Exils # 115 (02/07/2025)
Jeux interdits (Clément, 1952) en Slovénie ? L’aimable mélodrame martial possède son propre charme et l’on songe davantage à une seconde vallée, celle de James Clavell. Dans La Vallée perdue (The Last Valley, 1971), flanqués de Florinda Bolkan, Michael Caine & Omar Sharif partageaient un répit relatif, parmi un précédent conflit ; dans La Vallée de la paix (Štiglic, 1956), un duo de gosses s’enfuit vers un improbable paradis, petite vadrouille où ça dérouille, avec un aviateur américain, protecteur et proie, pour « partisans » et pour soldats. L’opus picaresque et modeste va vite, le voyage aux paysages en diagonale un brin Bergman pratique les bien nommés travellings. Linéaire plus qu’austère, les yeux mouillés mais jamais niais, le métrage d’un autre âge mérite quelques lignes d’hommage, ne fait perdre son temps au spectateur, ne fait de chantage à son cœur. Le prologue urbain, aux bombardements alliés destructeurs au lieu d’être salvateurs, on connut aussi ceci ici, aux petiots presque poulbots, déjà nazis, rappelle un peu Allemagne année zéro (Rossellini, 1948) et l’on se dit que la suite va servir de matrice apocryphe, moins mystique, à L’Enfance d’Ivan (Tarkovski, 1962). En vérité, La Vallée de la paix retravaille les veines, en dépit d’une différente esthétique, de Païsa (Rossellini, 1946) et Sciuscià (De Sica, 1946), car on y retrouve évidemment des enfants, un homme noir et un cheval blanc. Il cartographie une utopie et accumule les altérités. Lotti l’Allemande, Marko le Slovène, Jim l’Américain (re)découvrent une sorte de jardin d’éden, contaminé dès l’orée, cf. le cadavre du pilote suspendu, rapido enterré façon tumulus forestier, cf. le cimetière aquatique à côté du char en ruine, par l’adulte violence et l’absence de seconde chance.
Au départ de l’histoire et surtout du regard peu rassurés par la couleur de l’étrange étranger, qui parvient quand même à communiquer, les pèlerins s’en éprennent, réciproque de l’Amerloque. La fillette, de racisme point suspecte, au contraire d’un adversaire se servant du terme « nègre », passe à l’improviste un doigt sur sa peau, les deux individus réunis s’en amusent et se sourient. Peu après, elle lui demande de ne pas « battre » le cheval qui les suit, en écho à Nietzsche victime de la syphilis. Jim, non Morrison, chante de nuit le Messie, confectionne fissa une poupée basanée, afin de remplacer la première étêtée, donc décédée, croit en Dieu, descendu dans le dos meurt en levant les yeux, certes au ciel, majuscule optionnelle. Le périple bucolique et tragique s’arrête à l’aube, la maison de l’oncle disparu ressemble à un mausolée bienvenu, la roue refonctionne, de manière éphémère. Passés près de l’organisation d’une « déportation », les deux orphelins reprennent leur chemin, puisque malgré tout « la guerre est partout », y compris dans cette « zone disputée », à l’insigne ailé donné, au paquet de clopes made in USA. Rien de manichéen au sein de ces images à l’éclairage soigné, les ennemis de jadis ne s’y déguisent en surmecs maléfiques, apparaissent humains, très humains, cependant sans une once d’angélisme ni de révisionnisme. Le plaisir procuré par le visionnage en version restaurée de La Vallée de la paix repose en principale partie sur l’alchimie des petits Tugo Štiglic, le fils du cinéaste, et Evelyne Wohlfeiler, comète éteinte l’an dernier, du grand, et discrètement excellent, John Kitzmiller, qui fit (sa) carrière en Italie. Il s’agit en résumé d’une curiosité d’actualité, méconnue et recommandable, filmée à hauteur d’homme et d’animal.
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