La Grande Attente

 Exils # 109 (14/05/2025)


Dans Pierrot le Fou (Godard, 1965) Belmondo se suicidait à la dynamite, Anna Karina portait une robe écarlate ; dans Week-end à Zuydcoote (1964), il succombe à une bombe, aperçoit au lointain Jeanne en rouge. Le Nolan de Dunkerque (2017) et le Spielberg de La Liste de Schindler (1993) connaissaient-ils l’œuvre de Verneuil ? Peut-être, peu importe, ce titre restauré se suffit à lui seul, délesté d’héritiers. Flanqué de François Boyer (Jeux interdits, Clément, 1952), Robert Merle, l’auteur de La mort est mon métier, matrice apocryphe de La Zone d’intérêt (Glazer, 2023), s’auto-adapte et dialogue cette chronique tragi-comique d’un couple de jours pas si historiques, plutôt pragmatiques. Si Fabrice ne voyait rien à Waterloo, Julien, Maillat et non Sorel, accomplit un périple picaresque, ponctué de rencontres pittoresques, comme ces vraies-fausses nonnes façon La Grande Vadrouille (Oury, 1966), de caméos plus ou moins rigolos, citons ceux de Barbier & Préboist, Vernier & Zardi, mais il demeure en définitive immobile, fait du surplace sur et autour de la plage, cimetière en plein air que ne cessent de survoler, viser, vandaliser les avions d’Adolf. Sorte de Sisyphe aux prises avec la priorité, la paperasse English, quatrième mousquetaire éphémère en train de marcher en « Enfer », type « pas beau mais sympathique », réplique presque autobiographique, le soldat perdu essaie de conserver ses valeurs et son humanité, descend un tandem de compatriotes aussi occupés que les « indigènes » de La ciocciara (De Sica, 1960), ensuite prend la suite, viole Jeanne au creux d’une cave, assortie de saucissons un brin freudiens. La jeune femme à moitié solitaire, jusqu’à la stupidité propriétaire, certes « s’est offerte » avant de refuser d’être prise ainsi, sexe express produit par le stress, la colère et le dépit.

Vers elle Julien revient, accepte de l’épouser, « mec à conscience » qui couvre les cadavres et en coda l’attend à ses dépens. Courageuse et orageuse, naïve et machiavélique, « garce » et « vamp », l’impeccable Catherine Spaak ne saurait le sauver, incarne et corrige la fantomatique présence féminine, au milieu de tous ces hommes en uniforme : parmi la propagande française et allemande, la radio diffuse une fameuse chanson d’amour, d’attente et de retour, Périer se remémore une fois encore, rempli d’émotion, les formes de l’épouse restée à la maison, au contraire de la chère Marie Dubois, réduite au rôle de mutique accompagnatrice à la mort en mer promise. Ni Au-delà de la gloire (Fuller, 1980) ni Outrages (De Palma, 1989), Week-end à Zuydcoote évoque davantage Une si jolie petite plage (Allégret, 1948), sa dépression provinciale, ses dunes tombales, son romantisme pessimiste. La virilité de Philipe & Belmondo se voit très tourmentée, tandis que le dégourdi Mondy et le prêtre Marielle proposent d’autres modèles guère modèles de masculinité abîmée, au propre et au figuré. À Jean-Paul émule de Prévert, « quelle connerie la guerre », quelle absence d’intelligence, Jean-Pierre répond que certains sacrifices s’avèrent « utiles », de quoi faire réfléchir Zelensky & Poutine. Le Pinot de Géret, pas celui de Jugnot, ne se pose des questions, n’aspire à partir en direction de l’horizon, félicite son fusil, abat l’ennemi en nombreuse compagnie, pauvre parachutiste soumis au terrestre hallali, propose de creuser en chrétien la dernière demeure du cuistot chercheur d’eau. Julien lit mal le journal, Baker & Chevalier paradent en duo, à Paris, au Casino, se charge d’une charrette funèbre et funeste, plaisante un « y a rien qui presse », ne souhaite s’habituer au bazar, au désabusé désespoir.

Il veut voir Londres et mourir tel autrui Venise, co-production franco-italienne oblige, sise sous l’égide des fameux frangins Hakim. Escorté par la musique sporadique, martiale et délicate, de Maurice Jarre, la direction de la photographie réaliste due à Henri Decaë, journaliste photographique aérien de second conflit mondial et partenaire important de la Nouvelle Vague, il réinvente le conte du rendez-vous de Samarcande, échappe plusieurs fois au trépas puis abandonne le combat. De l’ouverture en travelling avant sur des rails de chemin de fer jusqu’au final et sa fermeture à l’iris, on sent que le cinéaste compose en Scope chaque plan et anime la moindre image d’une reconstitution dont les moyens conséquents, merci à l’armée, ne détournent jamais l’attention du drame individuel, leçon de David Lean, cible favorite d’un certain François Truffaut, au demeurant peu friand des « films de guerre », pas seulement parce qu’ils manquent souvent de dames. Le résultat déplut dit-on à l’écrivain prisonnier à Dunkerque, pourtant ce week-end moins motorisé que l’homonyme de Godard (1967), quoique, mérite sa mise en ligne, dialogue à distance avec le salué Un singe en hiver (1962) et le mal-aimé Les Morfalous (1984). Scénariste et réalisateur doté d’un regard et d’un cœur, Verneuil livre une évocation cordiale et cruelle, plus sensorielle qu’intellectuelle, sa « poche » pas moche palpite d’un spleen lucide, au pacifisme en sourdine. 

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