Tea for tous

 Exils # 48 (29/08/2024)


Boucle bouclée colorée, charte graphique affichée : rouge des images d’archives, vert du cockpit britannique de l’intro en studio, rouge des planeurs de la sœur, vert des montagnes qui désarment de l’épilogue idem en vol ; rouge du costume méphistophélique, vert de la peinture à l’ouverture ; rouge des fleurs de comique malheur, vert de la couronne ornée d’une croix gammée ; rouge de la jupe de scène raccourcie en appât de piégeuse péripatéticienne, vert d’un canal souterrain sous le métropolitain exploré plus tôt par Leroux & Hugo ; rouge et vert des portes d’hôtel aux numéros trompeurs, au duo de ronfleurs. Alternance + permanence = cohérence, dynamique métronomique du thème du tandem, doublé, dédoublé, redoublé, deux compatriotes, deux moustachus, deux officiers à défigurer, à faire s’étouffer, un soldat qui voit double, deux dames secourables, deux zones à la gomme, deux compositeurs couverts d’honneurs (Auric & Berlioz) pour un opus presque en deux parties, la première plus réussie, dotée d’une accessible et classique élégance, la seconde moins rigoureuse, davantage aventureuse (« aventure » amoureuse et audacieuse), aérée, avinée, déjà en liberté, après Garnier, (re)voici le road movie, même le « western », l’escapade du Corniaud (1965) puis la carapate de L’As des as (1982). Si Oury se souvient un brin de L’Homme qui en savait trop (Hitchcock, 1956), autre fameux attentat musical, s’il ne se soucie de la subtilité réflexive de Lubitsch (To Be or Not to Be, 1942), le Verneuil de Peur sur la ville (1975) ne peut pas ne pas avoir vu le début de La Grande Vadrouille (1966), ses parisiens panoramas, toits de guingois, aviateurs voltigeurs. Comme Molière ou Beaumarchais, ce cinéaste mésestimé, aux cadres en Scope composés, s’amuse des classes, des masques, des sexes, des SS, des apparences, des coïncidences, des oppositions, des situations. Il multiplie les miroirs, muraux ou d’armoire, il cumule les mises en abyme, opéra, guignol, hospices de Beaune (et photos de déco de Gabin & Marais chez la chouette Juliette), il travaille en famille, co-écrit avec sa fifille, dirige son beau-fils (héritier du regard mémorable de Michèle M).

Sa réponse positive au cynisme satirique de La Traversée de Paris (Autant-Lara, 1956) ne vise le révisionnisme ni l’amnésie, ne ranime les miséreux et les monstrueux de 1942, mais documente l’élan et le mouvement du mitan des années soixante, d’une France amicale et estivale, intrépide et féminine, à la Fantômas (Hunebelle, 1964), pas d’« hélice », pas d’« hélas », pas d’innocence (nul n’oublie les dénommés événements d’Algérie), pas de désespérance (poison du présent). Numérisée, restaurée, projetée sans frais dans une salle au frais, trois cents places disponibles, la plupart occupées devant cette représentation de l’Occupation coûteuse et au kolossal succès, la célèbre et increvable balade en deux actes, jamais patraque, certes inoffensive, à l’acide rétive, persiste à réjouir les grands et les petits, au générique de fin on (l’)applaudit. Délesté de la moindre méchanceté, de la distance arrogante du souvent détestable (au ciné) second degré, La Grande Vadrouille réjouit la foule (d’)aujourd’hui, telle une capsule temporelle où la vie (les films ?) des sixties paraissait plus belle et substantielle, même et surtout diégétiquement « dangerous », à cause de mélomanes démunis d’états d’âme, pourtant pourvus de politesse, de trivialité très humaine (ronflements, larmoiements). « La guerre a du bon », réplique assez surréaliste, sinon futuriste, désormais inaudible, désigne en définitive l’entreprise aux solides équipes dites artistique et technique, ne ripoline une époque en majorité médiocre, cf. le quotidien mesquin des salauds falots du Corbeau (1943) de Clouzot. Ici, l’héroïsme intempestif procède du sentimentalisme et du pragmatisme, démentis de comédie au fond préférables à la légende adéquate et discutable du roman national de Résistance générale, ou à sa version noire, repoussoir d'un pays à l'insu de son plein gré soumis à l'esprit et l’administration de Vichy. La mère supérieure et la tante tenancière participent au périple, complices compréhensive ou active, peu importe les disputes insincères et paritaires des couples d’occasion, facticité au carré, le machisme germanique de l’officier conseiller (« l’homme doit porter la culotte »).

Plébiscite public aussi descendu par la critique, quelques commentateurs mineurs cocos et gauchos (préférez plutôt Chico, Groucho, Harpo et leur marxisme de mise en ruine) par les entrées et la postérité mis KO, a priori épris d’un peuple dont les goûts provoquent en vérité leur dégoût, Le Vieux Fusil (Enrico, 1975) injectera une inguérissable mélancolie de massacre collectif (Oradour mon amour) et de désastre intime (Romy s’y sacrifie), « horreurs de la guerre » irréductibles à un lit partagé, gentiment gay friendly, dévastant un médecin assassin encore plus coupable et inconsolable que l’architecte exterminateur et vomisseur de Winner (Un justicier dans la ville, 1974), au sein d’une nostalgie similaire et inversée, d’un temps du bref bonheur alors conjugué à l’imparfait, changement de régime émotif et narratif en partie dû au doute dépressif du ciné, de la société, des années soixante-dix, décennie libertaire et amère. Ni dramatiques et mutiques à la Melville (L’Armée des ombres, 1969), ni jeunots et collabos à la Louis Malle (Lacombe Lucien, 1974), ni damnés à la Berlioz & Visconti, ni égarés a contrario des nigauds de la sérielle Septième Compagnie, les hommes et les femmes – hormis une enfant trop dévisageant, au silence éloquent – de La Grande Vadrouille témoignent d’une grande débrouille, se situent et ne (se) tuent sous le soleil d’un été éternel, éclairé dare-dare par le tout terrain Claude Renoir, plus solidaires qu’insulaires, plus émancipées que victimisées. Feel good movie de fantasme franco-français ? Concorde d’hier et non camelote cocardière ; chœur d’acteurs et d’actrices chers au cœur des spectateurs et des spectatrices (Bourvil & Marie Dubois, atteints, discrets, stoïques, héros authentiques) ; métrage d’un autre âge, d’autres images (de cela, de soi), comme un mythe (antique où Barthes débarque) énergique et non un mensonge sociologique. Le chœur d’Audiard & Lautner (Les Tontons flingueurs, 1963), inusable assorti, marronnier de télé, maniait le nostalgique de manière alcoolique et drolatique, transformait en conflit familial la guéguerre générationnelle, découpait avec doigté un reconnaissable catalogue de délectables dialogues.

Moins immobile et plus farceur, sur la (dé)route et en couleurs, le voyage de Gérard ne mérite en résumé l’exécution ou la consécration, invite en réalité aux avantages du virage, celui de Rémy (Julienne), motard entartré de citrouille, celui d’une existence (d’une seconde chance) tombée à l’eau, symboliquement ou littéralement (glissade d’échafaudage et chute de perruque). En matière de Meursault, il s’avère ainsi possible oui d’apprécier Camus & Oury.                              

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