La classe ouvrière va au paradis

 

Un métrage, une image : Les Camarades (1963)

Pour Jacqueline, camarade cinéphile

Comédie (mélo)dramatique en sourdine drolatique, Les Camarades (Mario Monicelli, 1963) se termine en déprime : le gosse déscolarisé se met à travailler, à franchir en dernier, derrière les adultes, après le tumulte, les grilles vite refermées, usine d’hier, insulaire, cellulaire, fissa substitué à son frère à terre, mortellement touché par le « feu à volonté » de l’armée, sur lequel s’ouvrait, deux heures dix auparavant, l’épopée d’antan. À la découvrir aujourd’hui, restaurée, numérisée, à moitié par TF1, ils ne redoutent dégun, elle paraissait programmée pour l’insuccès, trop amère, trop en colère, pas assez solidaire ni révolutionnaire. Pas encore cancéreux, hospitalisé, suicidé, le cinéaste chronique un échec collectif, donc individuel, l’immortalise et le magnifie, très beau boulot du maestro Rotunno (Rocco et ses frères, Visconti, Hier, aujourd’hui et demain, De Sica, 1963, Fellini Roma, 1972, Film d’amour et d’anarchie, Wertmüller, 1973, Le Syndrome de Stendhal, Argento, 1996), décédé en février, générique en vrais et faux daguerréotypes, jamais de manière intellectuelle, à la truelle. Monicelli ne se soucie d’idéalisme, ne manie le misérabilisme, il s’engage à raconter, à reconstituer, une partie de l’inaccessible passé, en partie en Yougoslavie transplanté, plutôt qu’à s’engager au côté du PC, à l’unisson de Renoir & Grémillon. Pas de tract patraque, d’entreprise didactique, davantage une œuvre au noir, d’espoir, de désespoir, une eau-forte dédiée aux années mortes, aux luttes foutues à la flotte, Auschwitz et la Sibérie passèrent aussi par ici, Mai 68 à un épiphénomène se limite, combat de bourgeois, de fifils et de papas, Pasolini opine, préfère, quel enfer, la matraque du CRS d’origine prolétaire au pavé parisien du friqué estudiantin projeté en plein air. Entre amputation et occupation, exploitation et prostitution, éducation et détermination, émotion et mutation, socialisme et paternalisme, jaunes (malheureux) et jeunes (amoureux), gel et grève, cheminots et journaux, train dont descendre, en épilogue à prendre, Les Camarades cartographie un instant d’Italie, nouvelle nation de variations, sinon de désunions, géographiques, linguistiques, plonge le spectateur en pleine period piece à la puissance immersive digne du tandem idem historique et atmosphérique de David Lynch & Freddie Francis (Elephant Man, 1980). Moins brechtien que Watkins (La Commune : Paris, 1871, 2000), moins bonhomme que Leone (Il était une fois la révolution, 1971), moins muet que Chaplin (Les Temps modernes, 1936), moins féminin que Ritt (Norma Rae, 1979), l’aimable Monicelli (Le Pigeon, 1958), escorté des incontournables dialoguistes/scénaristes duettistes Age & Scarpelli, du précieux producteur Franco Cristaldi (Le Christ s’est arrêté à Eboli, Rosi, 1979), délivre en définitive un opus poétique et politique, un moderne western à visiteur de troubles fauteur venu d’ailleurs, in fine emprisonné, leader au cœur duquel s’unissent l’altruisme et « l’égoïsme », l’utopique et la bronchite, ersatz d’un certain, point lointain, Léon Trotski et mari capable de passer la nuit dans le lit de l’indépendante Annie (Girardot)…                            

Commentaires

  1. Très beau billet, instructif, généreux, camarade cinéphile passionné,
    merci beaucoup pour la dédicace, toutes les dédicaces...

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    1. Avec plaisir ; lecture complémentaire :
      https://www.acaciasfilms.com/wp-content/uploads/2018/10/DP_Camarades.pdf

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    2. F.J Ossang - La dernière énigme (1982)
      https://www.youtube.com/watch?v=ipHtqkz_FGQ

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  2. Au cas ou pas déjà vu et comme un écho à la grève générale ....
    Hiver 60 (1982) Philippe Léotard, Ronny Coutteure
    https://www.youtube.com/watch?v=S_hp5E49SZQ

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