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Affichage des articles du 2025

Poussière d’étoile

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  Exils # 113 (18/06/2025) Dans ses Souvenirs et Réflexions , l’estimable musicienne Mel Bonis affirme : « L’artiste n’est pas un moraliste, mais il se doit d’être une personne morale. » On ne saurait douter de l’éthique d’Anthony Mann, néanmoins cette « étoile d’étain » d’intitulé original mérite son titre. Western modeste, mineur et méconnu, cela explique en partie ceci, Du sang dans le désert (1957) ne réussit jamais à s’élever au-dessus du statut de bel exercice de style desservi par un script simpliste, signé du complice de Ford Dudley Nichols ( La Chevauchée fantastique , 1939), « d’après une histoire » de scénaristes de TV, handicapé par un casting anecdotique, surtout du côté des dames, aux rôles en toc, doté d’un didactisme rédhibitoire rempli d’espoir, ce succédané stérile et laïc de l’espérance, précise le credo catho de la précitée compositrice. Un chasseur de primes en transit, pragmatique et presque cynique, transmet sa prati...

La Vue et Louise

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  Exils # 112 (12/06/2025) Plus de petit ami, charme de Hicham et trahison d’omission, CDD terminé, merde aux indemnités, mais l’héroïne ne déprime, les événements ne lui en laissent le temps. Tout autour d’elle se détraque le réel, les choses et les êtres se comportent de manière suspecte : le distributeur de café, à la voix veloutée, féminine et métallique, dysfonctionne façon Le Démon dans l’île (Leroi, 1983), les employés et les passants se voient soumis à d’invisibles assaillants. Tandis que des ouvriers travaillent, que le reflet d’une autre tour et d’un autre chantier sur une fenêtre apparaissent en reflet, le visage de la jeune femme en fragile filigrane, prend place et possession de l’efficace fiction une apocalypse de poche, il y a quelque chose qui approche , résume la chômeuse anxieuse à son ex en train de déménager, sur le point de succomber. La nuit venue, la fin du monde semble advenue, des sirènes retentissent, des types prennent la fuite. Le lendemain, ...

La Quête corse

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  Exils # 111 (03/06/2025) « Aucun sanglier n’a été blessé durant le tournage » : à notre connaissance, la mention ne figure ni au final générique ni sur IMDb sous la rubrique crazy credits . Après le prélude programmatique, crescendo sonore de cigales infernales tu(é)es net, la première séquence associe Dardenne et dépeçage, puisque l’héroïne, de dos filmée, sa chevelure dévoilée, s’attaque à un cadavre illico , reçoit sur le visage quelques gouttes de sang et l’accolade baptismale d’un parent. Elle annonce aussi et ainsi la conclusion d’exécution, avec perruque et teinture, eau minérale locale et mansuétude létale. Déjà séparée à l’insu de son plein gré du petit ami, Lesia, pas Rosetta, une pensée pour Émilie partie, demi-orpheline docile, perd donc en plus le papa, qui mit une vingtaine d’années à venger le trépas tout sauf naturel de son propre paternel, tandis que l’un des tueurs à moto apprécie sa paternité presto, avant de se faire dessouder, peluche premi...

Vain chœur par chaos

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  Exils # 110 (21/05/2025) Dommage pour leurs amateurs : on compte davantage de cascades dans un seul épisode de L’Homme qui tombe à pic que dans toutes les quatre-vingt-cinq minutes presque longuettes de L’ É quipée du Cannonball (1981). Cela peut étonner de la part de Needham, ancien stuntman et acteur occasionnel – il kidnappe Hackman pour French Connection 2 (Frankenheimer, 1975), se met ici en abyme comme ambulancier puis (ré)apparaît à l’ultime plan du bêtisier – qui concocta et connut un autre succès motorisé avec Cours après moi shérif (1977), déjà conduit par Reynolds, ensuite aussi transposé à la TV. Cette variation sudiste (Needham naquit à Memphis) des aventures de (Sisyphe) Vil Coyote cède sa place à une course maousse, illégale of course , « cinq mille kilomètres à cent quarante kilomètres/heure », quelle horreur s’écrie la sécurité routière, et Lee Majors, alias Colt Seavers, la sienne à la (très) regrettée Farrah Fawcett, couple séparé sur le ...

La Grande Attente

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  Exils # 109 (14/05/2025) Dans Pierrot le Fou (Godard, 1965) Belmondo se suicidait à la dynamite, Anna Karina portait une robe écarlate ; dans Week-end à Zuydcoote (1964), il succombe à une bombe, aperçoit au lointain Jeanne en rouge. Le Nolan de Dunkerque (2017) et le Spielberg de La Liste de Schindler (1993) connaissaient-ils l’œuvre de Verneuil ? Peut-être, peu importe, ce titre restauré se suffit à lui seul, délesté d’héritiers. Flanqué de François Boyer ( Jeux interdits , Clément, 1952), Robert Merle, l’auteur de La mort est mon métier , matrice apocryphe de La Zone d’intérêt (Glazer, 2023), s’auto-adapte et dialogue cette chronique tragi-comique d’un couple de jours pas si historiques, plutôt pragmatiques. Si Fabrice ne voyait rien à Waterloo, Julien, Maillat et non Sorel, accomplit un périple picaresque, ponctué de rencontres pittoresques, comme ces vraies-fausses nonnes façon La Grande Vadrouille (Oury, 1966), de caméos plus ou moins rigolos, citons ceu...

Les oies passent, les sauvages trépassent

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  Exils # 108 (13/05/2025) Mélodrame familial et « racial », Le Vent de la plaine (1960) paraît la réponse de Huston à La Prisonnière du désert (1956) de Ford, itou adapté du spécialiste Alan Le May. Les titres d’origine « annoncent la couleur » – de peau : chez le second John, il s’agit de chercher ( The Searchers ) une Blanche enlevée ; chez le premier, on ne peut pardonner ( The Unforgiven ) à la « brune » son pedigree . Voici un voyage inversé, la quête de Wayne remplacée par le débarquement des Indiens et le retour de Lancaster, vrai-faux demi-frère, aussi épris de sa sœur que l’incestueux Montana de sa Gina ( Scarface , De Palma, 1983). Au cours du climax nocturne et communautaire, presque procès à pendaison intempestive, deux récits des origines, de la faute originelle, se racontent et s’affrontent, Burt affabule, autant véhément que Elmer Gantry le charlatan (Brooks, 1960). Le vieillard spectral, à cheval et avec sabre, foncti...

La Preuve par l’épreuve

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  Exils # 107 (12/05/2025) Pour Patrick Dans Survivre à Hollywood , titre programmatique, le cher Fleischer se souvient de l’oraison de Robinson, de l’émotion de Heston, qualifie le film, avis d’Eddy, « de premier ordre », doté d’une histoire « qui a du fond  ». La valeur de Soleil vert (1973) se situe ici aussi, histoire d’amour entre deux hommes non plus amicale et homosexuelle ( Ben-Hur , Wyler, 1959) mais cette fois-ci filiale et paternelle. Plus proche du « charognard » coriace de L’Inspecteur Harry (Siegel, 1971) que des serviteurs dessillés des sinistres sociétés du Meilleur des mondes , 1984 , Fahrenheit 451 , émules de Paul sur le chemin de Damas, le « détective » indocile et anti-émeutiers affamés se nomme Thorn, patronyme explicite de déchirement piquant, tel le père infanticide, avatar d’Abraham, de La Malédiction (Donner, 1976). En « 2022 », à New York la glauque, chacun se fiche de l’Antéchrist, du maléfique me...

L’Ombre et la Couronne

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  Exils # 106 (06/05/2025) « Il n’y guère de quoi rire » parmi « l’hystérie » maccarthyste, mais la « comédie » à moitié terminée sur les larmes du gamin renouvelle une trouvaille originelle ( L’Arroseur arrosé , Lumière, 1895) pour laver le sale procès. Au cabaret où ne craquer, gaffe à l’effroyable lifting, un tandem de mecs retravaille l’increvable modèle de la tarte à la crème. Voici du physique, du slapstick , comme un effort encore, avant de revenir en volant vers la patrie révolutionnée, volée, décor et hublot de studio, truquage de paysage d’un autre âge. Certes le scénariste/réalisateur/acteur/producteur/compositeur ridiculise sa cible, (dé)montre l’immoralisme de la « Commission » à la con, ne pratique cependant le prosélytisme, « roi et communiste » impossible indeed , jadis déjà le drapeau rouge ramassé, en tête de cortège porté, ne consistait à être encarté ( Les Temps modernes , 1936). Ironie terrible et au carré,...

Sang neuf et Ciné ancien

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  Exils # 105 (24/04/2025) Récit d’apprentissage, à base de bizutage et de dépucelage, de dommages et d’hommages, Youngblood (Markle, 1986) ne change le schéma de ce cinéma-là, en surface sportif, en profondeur éducatif, respecte donc la structure (é)vocation/confrontation/consécration, celle idem de la comédie musicale. Mais sa trame mélange film d’adolescent, comédie romantique et mélodrame, invite l’individuel au cœur du collectif. Tout ceci suffit à en faire un film politique, en tout cas davantage que d’autres qui en revendiquent le galvaudé titre, assorti de surcroît d’une réflexion en action sur la dynamique des sexes, ses forces et ses faiblesses. Dix-sept ans et toutes ses dents, jusqu’à ce qu’il en perde une en coda, autographes de gosses à signer, baiser de la bien-aimée à différer, pourvu d’un patronyme explicite, symbolique, le délicat et déterminé Dean quitte la ferme de ses frère et papa, sise au Minnesota, direction, via un spectaculaire pont, le hockey au Can...

À l’ouest d’Éden

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  Exils # 104 (23/04/2025) Adieu aux Doors et à leur Moonlight Drive , voici donc le méconnu Midnight Ride (Bralver, 1990). Sans doute la production Cannon comptait capitaliser sur le solaire Hitcher (Harmon, 1986), mais elle évoque davantage Le Voyage de la peur (Lupino, 1953) et La Proie de l’autostop (Festa Campanile, 1977), même délestée de l’intensité du premier, de la rudesse du second. Sauf celui de cinéphile Italie, tous ces titres ne pouvaient naître qu’en nordiste Amérique, pays de l’espace, patrie du road movie , paranoïa du piéton, victoire de la voiture, en Australie aussi, disons pour d’identiques raisons, on renvoie vers Mad Max (Miller, 1979) et Road Games (Franklin, 1981). Certes le parcours convenu de cette histoire d’un soir de couple en déroute sur la route face à un fêlé « de retour au bercail », direction l’hôpital, périlleux périple à la Ulysse, au picaresque funeste, ne surprend personne, en dépit d’un épilogue en ascenseur et fauteuil, tu...

Le Paria et le Pactole

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  Exils # 103 (17/04/2025) Sans doute ulcéré par le succès des adaptations infidèles et personnelles de Pagnol ( Jofroi , 1933, Angèle , 1934, Regain , 1937, La Femme du boulanger , 1938), idem né en 1895, date symbolique, Giono créé sa société de films homonyme, démarquage de celle de Marcel, productrice ensuite du languissant Un roi sans divertissement (Leterrier, 1963), s’acoquine au « conseiller technique » Claude Pinoteau, à Costa-Gavras à l’assistanat, illustre illico son propre et original scénario. Jamais si bien desservi que par soi-même ricanent quelques critiques, hormis les plutôt positifs Cahiers du cinéma , bientôt itou dépités par le tandem d’ items de l’égaré Romain Gary ( Kill , 1972). On peut en partie les comprendre tant Crésus (1960) se réduit à l’anecdotique, sous couvert de conte économique, doté d’une morale sentimentale « à deux balles ». L’estimable romancier du Chant du monde et le poète loupé d’ Il n’y avait plus qu’à marcher...

Le Pantin et la Femme

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  Exils # 102 (15/04/2025) Comme Bergman ( Fanny et Alexandre ) & Kieślowski ( Le Décalogue ), Pialat ( La Maison des bois ) & Lynch ( Twin Peaks ), Comencini manie en cinéaste la temporalité, la proximité de la télé. Que vaut donc cette version condensée, en salle distribuée, en français doublée ? Elle démontre d’abord que la qualité du regard ne dépend de la quantité de l’écran : leçon de réalisation, sinon d’adaptation, bravo à l’incontournable co-scénariste Suso Cecchi D’Amico, (re)lisez mon portrait, Les Aventures de Pinocchio (1972) bénéficie ainsi et aussi d’une direction artistique – costumes + décors de Piero Gherardi ( La dolce vita , Fellini, 1960) – et photographique – Armando Nannuzzi éclaire ensuite le Jésus itou cathodique de Zeffirelli – assez admirable, mélange réussi de réalisme et de fantastique, de rudesse et de douceur. Avec son casting hétéroclite, aux caméos drolatiques, citons Stander en marionnettiste, De Sica en magistrat, Adorf en...

La mire m’a tuer

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  Exils # 101 (08/04/2025) Le générique anticipe Shining (Kubrick, 1980) : Delon de dos conduit sur une route sudiste, en bordure de mer et donc de mort, escorté d’une chorale musique dramatique, signée de l’inspiré Demarsan ( Le Cercle rouge , Melville, 1970). Le type anonyme économise son fric chez le tutoyé pompiste et roule en américaine « automatique », assiste en sus à la noyade d’une nounou espagnole, s’incruste au creux de la villa vandalisée par les mômes autonomes, camés aux sucreries et au Coke. Voir Alain avachi dans le canapé devant la télé, en train de sourire et surtout de singer une Sheila au disco « dévouée » vaut déjà le visionnage, mais Attention les enfants regardent (Leroy, 1978) mérite aussi d’être exhumé pour une poignée de qualités. Tel La Traque (Leroy, 1975), il s’agit en définitive d’un survival satiriste, doublé d’une lutte des classes et des territoires, au terme funèbre duquel succombe le pauvre protagoniste, Mimsy Fa...

Luigi ou l’Embellie

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  Exils # 100 (02/04/2025) Dabadie adapte/dialogue Curtis et de Broca dirige un « exercice de style », ainsi qu’il qualifiait ce film méconnu et mal aimé, que le cinéaste souhaitait « pudique et délicat comme l’âme même de son héroïne » ( Philippe de Broca : Un monsieur de comédie ). Exécuté à Cannes, la critique ricane, sorti sans succès en septembre en salle, désormais restauré, disponible en ligne, Chère Louise (1972) ne relève ni du « trésor retrouvé », accroche de la nouvelle affiche, ni du déterré navet, sentimentalisme intempestif. Sorte de réponse positive à Mourir d’aimer (Cayatte, 1971), de matrice apocryphe et bien moins antiraciste de Tous les autres s’appellent Ali (Fassbinder, 1974), il peut aussi faire penser à Pain et Chocolat (Brusati, 1974), encore un conte tragi-comique de lac trop calme et d’étranger sudiste. Mais l’humour mélancolique du réalisateur du Magnifique (1973), perçu et rendu par la musique de Delerue, ne pa...