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Affichage des articles du 2025

Enrico en écho

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  Exils # 129 (23/09/2025)   Le Vieux Fusil (1975) développe le souvenir versus le pire de La Rivière du hibou (1961), court-métrage remarquable, remarqué, très primé, vrai-faux survival sensoriel et cruel, dialoguant à distance avec La Jetée (Marker, 1962), autre conte (à rebours) d’une mort retardée, du désir d’Eurydice. Romy remplace Abby au ralenti, les vélos et cabot la balançoire des marmots, le médecin assassin le civil exécuté – le mort-vivant « l’homme vivant ». Car le cinéma sert aussi à ça, ressusciter les dames idéalisées, adorées, magnifiques mais massacrées. De la guerre de Sécession à la guerre de l’Occupation, la barbarie s’installe à la Barberie. Comparé à Noiret, le Hoffman des Chiens de paille (Peckinpah, 1971) se limite à un amateur, les luttes de territoire se terminent en automobile, sidéré ou bouleversé. Le toubib porté sur la chevrotine esquive in extremis la terrible lucidité, se réfugie en esprit au perdu paradis, musiqué par ...

Le Concert et le Cimetière

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  Exils # 128 (16/09/2025) Dans Obsession (De Palma, 1976), autre avatar du complexe d’Électre, une restauratrice de tableaux invitait à sauvegarder la beauté, peu importe le palimpseste. Dans La 7 ème Cible (Pinoteau, 1984), la mamma de Ventura dissimule sous ses « gouaches » pas si dégueulasses des signatures de renom, découvre Degas d’un coup de chiffon. On devine vite que le procédé de la double couche s’applique au film, qui commence comme se termine Un papillon sur l’épaule (Deray, 1978) et se termine comme commence L’Espion qui venait du froid (Ritt, 1965). Cette fois, toutefois, l’acteur en bout de course et presque à bout de souffle ne se fait plus descendre à distance, en pleine rue passante et indifférente, il se fait tabasser arrivé au sommet d’un escalier à la Remorques (Grémillon, 1941) mais démuni de flotte, position surélevée perdue puis retrouvée, car il l’occupera en coda, indication musicale et spatiale. Ce récit d’une chute rempli de tumulte troq...

Voix sans issue

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  Exils # 127 (10/09/2025)  Macabro (Prado, 2020) commence comme un codicille au diptyque Troupe d’élite (Padilha, 2008 + 2010), qui plut au public et déplut à la critique, les producteurs rempilent, l’affiche et la bande-annonce le précisent. On retrouve vite plusieurs motifs : des hommes en uniformes, une bavure au début, le récit du protagoniste en voix off , avant celle du journal régional nommé A voz da serra . Mais le film sème ce modèle, évite la ville, se déplace donc en montagne, retrace sous forme fictive un fait divers en effet macabre, plus sordide que celui du script . Au Brésil sévissent ainsi deux « frères nécrophiles », friands de refroidissants « féminicides », à faire défaillir les féministes nordistes. Au Brésil sévit aussi un prêtre pédophile, son onctuosité le trahit dès l’orée, son discours antidémoniaque le démasque. En vérité je vous le dis, en dépit de somptueux paysages de parc national, paradis laïc presque préhistorique...

Pollack paranoïaque ?

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  Exils # 126 (09/09/2025) Redford au téléphone et face à Dunaway presque adepte du syndrome de Stockholm : « Je ne suis pas un espion ». Cependant Les Trois Jours du Condor (1975) commence comme Mission impossible (De Palma, 1996), par l’élimination de l’équipe, histoire de faire table rase pour sa star . Avant d’aller suer à Langley, suspendu et non plus perché, Cruise transpire et conspire dans La Firme (1993). Il utilise aussi le mot « conspiracy », que la VF transforme illico en « complot », que les sous-titres de juriste traduisent d’un « entente délictueuse ». Parmi d’autres diptyques apocryphes, disons Les Chasseurs de scalps (1968)/ Jeremiah Johnson (1972), Yakuza (1974)/ Out of Africa (1985), les productions dialoguent à distance, dessinent des individus tendus, témoignent de leur temps. Les choses changent et demeurent les mêmes, la mafia remplace la CIA, Memphis New York (horizon Washington), le blanchiment d’argen...

Demain le chien

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  Exils # 125 (04/09/2025) En dépit des a priori , Black Dog (Guan, 2024) n’évoque Mad Max (Miller, 1979) ni Freaks (Browning, 1932), ne ranime Atomik Circus (Poiraud & Poiraud, 2004) ou fait penser à Umberto D. (De Sica, 1952). La comédie dramatique et laconique quasiment démunie de musique dite extra -diégétique, hormis le lyrisme d’une traversée encerclée de canidés, la séquence de l’éclipse au son d’une chanson de Pink Floyd, à laquelle réplique celle du générique, chronique donc une reconstruction en doublon, d’un individu et d’une ville, le premier sort de prison, la seconde attend des usines. Tandis que les hommes ne contrôlent que quelques quartiers, dont un commissariat au personnel presque sympa, plus serviable que fana de la fouille rectale, quoique, car un quidam d’accident emmerde le monde en réclamant son argent, le récent détenu peu loquace et pourtant libéré sur parole se voit vite désapé au poste, les animaux désertent le zoo, même le tigre dit de Mandc...

Dorota 1880

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  Exils # 124 (02/09/2025) En dépit du pronom, Mon XX ème siècle (Enyedi, 1989) n’appartient pas à un personnage, plutôt à sa cinéaste, même s’il ne s’agit ni d’un film historique ni d’un film autobiographique. En découvrant ce noir et blanc, on se dit revoici de l’ arty , du ciné usagé, du simulacre primé à Cannes. Mais le premier essai de cette réalisatrice et scénariste peu prolifique, universitaire et festivalière passée par Montpellier, mariée à un Allemand, le pays co-produit, ne se réduit Dieu merci à ceci, alors tant pis s’il (dé)tourne assez vite à vide, se termine entre deux rives livides, lent travelling avant à contre-pied de l’exposition éclatée. Au générique style La Femme publique (Żuławski, 1984) de l’obsolète Annette (2021), autre conte (« de fées ») méta qui peut laisser de bois, Carax remercie Béla Balázs (et « Edgard Allen Poe »), célèbre théoricien exilé de Berlin et fissa professeur au VGIK, au retour recadré par des autorités so...

La Petite Illusion

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  Exils # 123 (29/08/2025) À défaut d’autre chose, Pauline Kael possédait la capacité de pondre des pages et des pages pour vomir sur Eastwood, déféquer sur Kubrick. Rassurons le lecteur : il ne lui faudra les trois heures du film et de sa vie avant d’avoir un avis à propos du Comte de Monte-Cristo (de La Patellière & Delaporte, 2024). É clairée comme une publicité, musiquée au kilomètre par un zélateur de Zimmer, filmée tel un téléfilm, calibrée Canal+, W9 et M6 coproductrices, cette vraie-fausse fresque à la finesse éléphantesque, au succès critique, économique, même ici, au terme de la séance gratuite et tardive, le public applaudit, donne donc un repas méta, presque à la Pialat, manie la métonymie. É mule méditerranéen du dramaturge Hamlet, l’hôte se moque de ses convives avides, leur fout la frousse à coup de « fantôme » et d’« infanticide », d’un coup sur la table apprécié de la salle, occupée au complet. Danglars idem se régale, qualifie le...

Des justiciers dans la ville

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  Exils # 122 (28/08/2025) Dans Death Wish (Winner, 1974), la femme de l’avocat Paul Kersey se faisait tuer, sa fille se faisait violer ; dans Fighting Back ( aka Philadephia Security ou Death Vengeance , Teague, 1982), la femme de l’épicier John D’Angelo fait une fausse couche après une poursuite en voiture et sa mère se fait « mutiler ». À huit ans de distance, les deux productions Dino De Laurentiis paraissent prendre le pouls d’une Amérique nordiste malsaine et urbaine, où sévissent toutes les violences, dont celle du vigilante , d’abord citoyen anonyme malmené, ensuite modèle ou malaise à main armée, (anti-)héros dépressif ou héraut droitiste de westerns modernes, pantin de républicains ou cauchemar de démocrates. Ce personnage donnera au passage son titre à un film de Lustig (1983), dans lequel la femme de l’ouvrier Eddie Marino se fera poignarder, son fils se fera descendre, inspiré en partie lui aussi par l’entreprise salvatrice ou le discutable épou...

Le Messie et le Matricide

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  Exils # 121 (20/08/2025) « Abomination » s’exprime Rampling en sourdine, « amélioration » se félicite le cinéphile en séance gratuite. J’expédiai jadis ainsi la première partie : « Hiératisme, romantisme, scepticisme : pasteurisation nolanisation » ( Un film, une ligne ). Aujourd’hui je dédie quelques lignes à demi laudatives à sa suite – sic transit cinéma mundi . Sis sur le sable du désert et de l’arène, la poursuite du périple de Paul Atréides indeed mérite une mesurée estime. Certes, on y retrouve et on y réécoute hélas la mélasse bien ambient du sieur Zimmer ; certes, le sound design ne lésine sur les effets acoustiques, quitte à faire frissonner le fauteuil ; certes, la philosophie politique paraît presque simpliste comparée à celle du Prince de Machiavel – mais ce passif se voit en vérité dépassé, fluidifié, par l’actif d’une réflexion en action(s) sur les limites du messianisme. Si Lawrence d’Arabie (Lean, 1962), sa m...

Je fuis une légende

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  Exils # 120 (24/07/2025) « Il a toujours été spécial » déclare la barmaid adepte du « pas de vagues » local. Cependant le berger sudiste n’accomplit rien d’extraordinaire, l’élevage en bord de mer, donc dénué de la transhumance montagnarde, représente à peine une particularité, un mode démodé soumis à l’immobilier. La séquence du générique le présente ainsi en caméra portée dans son active banalité, s’occupant en silence de ses bêtes simplettes, inconscientes des enjeux dangereux et des « intérêts monstrueux » de leur ancienne présence et programmée absence, avant qu’une porte ouverte et un mouvement paysagiste ne dévoilent l’ampleur du panorama et le prix de cette terre-là. Ni pétainiste ni marxiste, Joseph se fiche de l’idéologie, de la lutte des classes ne se soucie, l’attachement au territoire, voire au terroir, variante culturelle et accessoire consensuel de la provinciale politique archaïque ou écologique, lui passe au-dessus de la tête et...

L’Âge de glace de la guerre froide

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  Exils # 119 (17/07/2025) Si Richard Harris refusa L’ Œ uf du serpent (Bergman, 1977) au profit d’ Orca (Anderson, 1977), la production imposa donc Richard Burton, mais L’Espion qui venait du froid (Ritt, 1965) lui permet de déployer l’une de ses meilleures interprétations. Escorté par un casting choral impeccable, Monsieur Liz Taylor, ancien amour de Claire Bloom, vous suivez, acteur au carré, à raison récompensé, incarne un Alec très tourmenté, d’abord déguisé en dépressif alcoolique, amer et déclassé, ensuite en prisonnier express puis vrai-faux transfuge de retraite montagnarde et de tribunal bancal. Les mauvaises langues soulignent qu’il s’agit à peine d’un rôle de composition, les cinéphiles applaudissent devant le talent, capable d’exprimer la peur de ce temps-là et le dégoût de tout cela, sinon de soi. Pourri par l’opportunisme – expediency en VO, « pragmatisme » en sous-titres – et le machiavélisme, voire le pharisaïsme et l’homophobie, queer guère un...

Virez Willy

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  Exils # 118 (15/07/2025) Achab du Canada, Nolan, au patronyme explicite, alon ( e ) loin de Babylone, possède aussi son idée fixe, qui le possède et finit par le perdre, substitue au Queequeg d’ébène l’Indien lucide, pas du tout fou, de Vol au-dessus d’un nid de coucou (Forman, 1975). Lectrice de Melville, scientifique héroïque et enseignante « réchauffante », surtout du côté de la banquise, Charlotte Rampling formule et tamise l’anthropomorphisme, le mâtine d’une amère ironie : la mémoire sentimentale du mammifère « monogame » – dixit une bientôt unijambiste Bo Derek aux joues rondouillettes – et intelligent excède celle fameuse de l’éléphant, mais cette « quasi » humanité attribuée, remarquez les mimis mimines du fœtus foutu, participerait hélas du « réflexe le plus primitif » de l’espèce bipède, vive la vengeance et la violence, revoilà Peckinpah, éthologue du viol ( Les Chiens de paille , 1971). La femme fréquentable, deux fois rescapée, en coda...