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La Petite Illusion

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  Exils # 123 (29/08/2025) À défaut d’autre chose, Pauline Kael possédait la capacité de pondre des pages et des pages pour vomir sur Eastwood, déféquer sur Kubrick. Rassurons le lecteur : il ne lui faudra les trois heures du film et de sa vie avant d’avoir un avis à propos du Comte de Monte-Cristo (de La Patellière & Delaporte, 2024). É clairée comme une publicité, musiquée au kilomètre par un zélateur de Zimmer, filmée tel un téléfilm, calibrée Canal+, W9 et M6 coproductrices, cette vraie-fausse fresque à la finesse éléphantesque, au succès critique, économique, même ici, au terme de la séance gratuite et tardive, le public applaudit, donne donc un repas méta, presque à la Pialat, manie la métonymie. É mule méditerranéen du dramaturge Hamlet, l’hôte se moque de ses convives avides, leur fout la frousse à coup de « fantôme » et d’« infanticide », d’un coup sur la table apprécié de la salle, occupée au complet. Danglars idem se régale, qualifie le...

Des justiciers dans la ville

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  Exils # 122 (28/08/2025) Dans Death Wish (Winner, 1974), la femme de l’avocat Paul Kersey se faisait tuer, sa fille se faisait violer ; dans Fighting Back ( aka Philadephia Security ou Death Vengeance , Teague, 1982), la femme de l’épicier John D’Angelo fait une fausse couche après une poursuite en voiture et sa mère se fait « mutiler ». À huit ans de distance, les deux productions Dino De Laurentiis paraissent prendre le pouls d’une Amérique nordiste malsaine et urbaine, où sévissent toutes les violences, dont celle du vigilante , d’abord citoyen anonyme malmené, ensuite modèle ou malaise à main armée, (anti-)héros dépressif ou héraut droitiste de westerns modernes, pantin de républicains ou cauchemar de démocrates. Ce personnage donnera au passage son titre à un film de Lustig (1983), dans lequel la femme de l’ouvrier Eddie Marino se fera poignarder, son fils se fera descendre, inspiré en partie lui aussi par l’entreprise salvatrice ou le discutable épou...

Le Messie et le Matricide

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  Exils # 121 (20/08/2025) « Abomination » s’exprime Rampling en sourdine, « amélioration » se félicite le cinéphile en séance gratuite. J’expédiai jadis ainsi la première partie : « Hiératisme, romantisme, scepticisme : pasteurisation nolanisation » ( Un film, une ligne ). Aujourd’hui je dédie quelques lignes à demi laudatives à sa suite – sic transit cinéma mundi . Sis sur le sable du désert et de l’arène, la poursuite du périple de Paul Atréides indeed mérite une mesurée estime. Certes, on y retrouve et on y réécoute hélas la mélasse bien ambient du sieur Zimmer ; certes, le sound design ne lésine sur les effets acoustiques, quitte à faire frissonner le fauteuil ; certes, la philosophie politique paraît presque simpliste comparée à celle du Prince de Machiavel – mais ce passif se voit en vérité dépassé, fluidifié, par l’actif d’une réflexion en action(s) sur les limites du messianisme. Si Lawrence d’Arabie (Lean, 1962), sa m...

Je fuis une légende

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  Exils # 120 (24/07/2025) « Il a toujours été spécial » déclare la barmaid adepte du « pas de vagues » local. Cependant le berger sudiste n’accomplit rien d’extraordinaire, l’élevage en bord de mer, donc dénué de la transhumance montagnarde, représente à peine une particularité, un mode démodé soumis à l’immobilier. La séquence du générique le présente ainsi en caméra portée dans son active banalité, s’occupant en silence de ses bêtes simplettes, inconscientes des enjeux dangereux et des « intérêts monstrueux » de leur ancienne présence et programmée absence, avant qu’une porte ouverte et un mouvement paysagiste ne dévoilent l’ampleur du panorama et le prix de cette terre-là. Ni pétainiste ni marxiste, Joseph se fiche de l’idéologie, de la lutte des classes ne se soucie, l’attachement au territoire, voire au terroir, variante culturelle et accessoire consensuel de la provinciale politique archaïque ou écologique, lui passe au-dessus de la tête et...

L’Âge de glace de la guerre froide

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  Exils # 119 (17/07/2025) Si Richard Harris refusa L’ Œ uf du serpent (Bergman, 1977) au profit d’ Orca (Anderson, 1977), la production imposa donc Richard Burton, mais L’Espion qui venait du froid (Ritt, 1965) lui permet de déployer l’une de ses meilleures interprétations. Escorté par un casting choral impeccable, Monsieur Liz Taylor, ancien amour de Claire Bloom, vous suivez, acteur au carré, à raison récompensé, incarne un Alec très tourmenté, d’abord déguisé en dépressif alcoolique, amer et déclassé, ensuite en prisonnier express puis vrai-faux transfuge de retraite montagnarde et de tribunal bancal. Les mauvaises langues soulignent qu’il s’agit à peine d’un rôle de composition, les cinéphiles applaudissent devant le talent, capable d’exprimer la peur de ce temps-là et le dégoût de tout cela, sinon de soi. Pourri par l’opportunisme – expediency en VO, « pragmatisme » en sous-titres – et le machiavélisme, voire le pharisaïsme et l’homophobie, queer guère un...

Virez Willy

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  Exils # 118 (15/07/2025) Achab du Canada, Nolan, au patronyme explicite, alon ( e ) loin de Babylone, possède aussi son idée fixe, qui le possède et finit par le perdre, substitue au Queequeg d’ébène l’Indien lucide, pas du tout fou, de Vol au-dessus d’un nid de coucou (Forman, 1975). Lectrice de Melville, scientifique héroïque et enseignante « réchauffante », surtout du côté de la banquise, Charlotte Rampling formule et tamise l’anthropomorphisme, le mâtine d’une amère ironie : la mémoire sentimentale du mammifère « monogame » – dixit une bientôt unijambiste Bo Derek aux joues rondouillettes – et intelligent excède celle fameuse de l’éléphant, mais cette « quasi » humanité attribuée, remarquez les mimis mimines du fœtus foutu, participerait hélas du « réflexe le plus primitif » de l’espèce bipède, vive la vengeance et la violence, revoilà Peckinpah, éthologue du viol ( Les Chiens de paille , 1971). La femme fréquentable, deux fois rescapée, en coda...

Au nom du Pierre

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  Exils # 117 (11/07/2025) Haceldama ou le Prix du sang (1919) s’ouvre sur une citation explicative, topographique et laconique, de l’ É vangile selon Jean , cela ne surprend de la part du réalisateur de Golgotha (1935), où Judas se resuicidera. Le tout premier plan du tout premier film de Duvivier, auteur disons supérieur, puisqu’il s’occupe de tout, du scénario, de la caméra, du montage, du labo à Bordeaux, de la production avec sa société Burdigala Films, in extremis signe même l’ item , jolie calligraphie, possède donc une pendaison d’introduction, de religion, suivie illico d’un sanglant couteau, tandis que ce métrage sans dommages carbure à la culpabilité, fonctionne au secret de famille enterré, au propre et au figuré, du côté de la Corrèze, planque balèze, au creux de laquelle concocter un vrai-faux western , mode d’époque, Gaumont ne dit non, une « grande scène dramatique en quatre parties », voire évangiles, témoignage sans outrage d’une « époque hé...